Résumé de la conférence de Jean-Claude SIMARD au Cercle Ernest Renan
le 28 septembre 2023 : Évolution et religion : analyse d’un conflit séculaire
Introduction
Jean-Claude Simard est philosophe et historien des sciences à l’Université du Québec. Sa conférence porte sur la théorie de l’évolution de Charles Darwin et sur les controverses qu’elle continue d’engendrer, notamment en Occident, face aux défenseurs du “Créationnisme” et du “Dessein intelligent”. Les théories “Créationnistes” sont nées dans les années 1920 et qu’elles ont aujourd’hui beaucoup d’adeptes, malgré leur caractère non scientifique.
L’analyse présentée par Jean-Claude Simard s’articule autour de quatre grandes thématiques :
- la caractérisation de la religion et de la science,
- un rappel de la théorie de l’évolution,
- le problème de l’origine de l’homme,
- les paramètres du débat entre religion et science.
Science et religion
Les religions “primitives” cherchaient le sacré et le surnaturel, à savoir le “lumineux qui fascine et qui effraye à la fois”. Elles avaient pour objectif de comprendre l’inconnu et de fonder une espérance. Les religions monothéistes sont orientées vers des réalités spirituelles et sur l’absolu avec les notions d’âme, de divinité et de vie après la mort. Elles font appel au mythe, au récit, à la parabole et au symbole. Par ailleurs, la croyance en l’au-delà permet de donner un sens à la vie humaine.
La science, de son côté, analyse les phénomènes de manière empirique en se reposant sur les faits. On recherche les causes via notamment les notions mathématiques ou physiques. Le discours scientifique est ainsi rationnel et univoque.
Science et religion sont donc des activités qui s’opposent naturellement, aussi bien en termes d’objet, de méthode, de discours et de fonction. Les religions imposent des croyances, des doctrines et des dogmes alors que la science est expérimentale et que l’on vérifie des hypothèses.
Entre les deux, la philosophie, qui cherche à donner un sens à la vie, est une sorte d’intermédiaire entre religion et science. Sa méthode est rationnelle, mais pas expérimentale comme l’est celle de la science.
La théorie de l’évolution
La théorie de l’évolution de Charles Darwin, qui date de 1859, cherche à expliquer l’origine des espèces. Aujourd’hui, on parlerait plutôt de “populations” que “d’espèces”. L’objectif est de reconstituer l’arbre de la vie depuis les premières formes jusqu’à notre époque. Darwin ne connaissait pas Mendel et la génétique. Pour autant, il a constaté qu’au sein d’une même espèce des évolutions avaient lieu afin de permettre une meilleure adaptation au milieu. Dans la lutte pour la vie, l’adaptation permet la survie du plus apte. Ces petites variations débouchent, sur le long terme, à la création d’une nouvelle espèce. Au-delà de cette sélection naturelle, il existe une sélection artificielle, du fait de l’homme, qui concerne l’ensemble des espèces domestiquées. Il existe ainsi environ 400 races de chiens, qui descendent toutes du loup, tout en appartenant à la même espèce. La nature fait la même chose que l’homme, mais contrairement à lui, elle n’a pas d’intention pour cela.
Paléoanthropologie et origine de l’homme
La paléoanthropologie vise à analyser les hommes primitifs. Darwin s’est lancé dans ce type de recherches bien après sa présentation de la théorie de l’évolution car il savait le sujet polémique.
Darwin a essayé de comparer l’homme et les grands singes. Les grands singes ont quatre mains alors que l’homme a deux mains et deux pieds. Les grands singes constituent une espèce intermédiaire avec une boite crânienne moins développée que chez l’homme. Les premiers hommes préhistoriques ont été découverts en 1856 (Néandertal) et en 1868 (Cro-Magnon). Les études ont montré que l’homme ne descend pas du singe, mais d’un animal antérieur qui avait un aspect proche du singe. Et l’origine de l’homme est bien naturelle, elle résulte d’une évolution.
Paramètres du débat entre religion et évolutionnisme
Pour la philosophie, ainsi que pour la science, l’origine de l’homme est d’abord naturelle. L’homme est un animal, mais qui réalise des choses plus développées que les autres animaux. Si l’homme fait mieux que l’animal, cela constitue seulement une différence de degré et non de nature par rapport à l’animal. C’est ce qui pose problème avec la religion qui a une autre vision de l’homme et de son origine.
Un autre problème concerne le fait que l’évolution est liée au hasard, ce qui n’est pas assimilable par la religion qui considère qu’il existe un plan ou une intention divine. Pour la science, l’ordre naturel n’a ni dessein, ni plan d’ensemble et donc l’existence de l’homme est le pur fruit du hasard.
Dans ces conditions, l’homme ne peut pas se situer “au sommet” de la création car il n’y a ni sommet (absence de but et de notion de “progrès” pour la nature), ni création proprement dite (mais seulement une évolution des “espèces”). Ceci contredit l’esprit religieux et cette vérité scientifique est difficile à accepter pour l’esprit humain. En effet, l’homme a tendance à manquer d’humilité et à se mettre sur un piédestal par rapport aux animaux.
Freud notait d’ailleurs, à ce propos, que l’homme a été confronté à trois blessures narcissiques au cours de son existence : il n’est pas au centre de l’univers (Copernic), il n’est que le résultat de l’évolution (Darwin) et il n’est pas maître de son propre esprit (Freud).
Tout cela heurte la vision religieuse et, de manière encore plus importante, les mouvances créationnistes les plus fondamentalistes :
-”Jeune-Terre” constitue la forme la plus stricte du créationnisme. Elle interprète la Bible d’un point de vue littéral, et selon cette interprétation, la terre n’aurait que 6 427 ans. Cette approche est en totale contradiction avec la science.
-”Vieille-Terre” accepte de reconnaître l’âge avancé de la Terre tout en adhérant à la croyance que le Big-Bang serait un évènement avec Dieu comme auteur.
-Le ”Concordisme” considère que l’évolution est plus qu’une hypothèse. Cette mouvance est aujourd’hui acceptée par le catholicisme. Teilhard de Chardin, notamment, était évolutionniste et concordiste. Pour lui, une pensée religieuse peut donner un sens global à l’évolution.
-Le ”Dessein intelligent” prône une intention divine qui serait venue influer sur l’évolution.
Conclusion
Il convient de distinguer théorie et croyance. Ainsi, refuser la théorie de l’évolution c’est faire preuve de fondamentalisme et d’obscurantisme. A l’inverse, le scientisme refuse, de manière dogmatique, la croyance religieuse. La meilleure approche possible devrait être le NOMA (non-overlapping magisteria) qui est un principe de non interférence entre magistères scientifiques, religieux et philosophiques. Selon ce concept, ces magistères ne se recouvrent pas. L’objectif est d’accepter une coexistence pacifique entre science et religion compte tenu du fait que ces approches sont différentes et ne se positionnent pas au même niveau. Mais cela est rendu difficile du fait de l’intransigeance des parties en présence.