Résumé de la conférence d’Anne Doquet au Cercle Ernest Renan
le 9 mars 2023
Marcel Griaule et la cosmogonie Dogon
Introduction
Le pays Dogon se situe principalement au Mali (et pour une partie au Burkina Faso). C’est une région pauvre et excentrée qui se trouve aujourd’hui dans une situation catastrophique, totalement abandonnée par le pouvoir central de Bamako.
A l’époque de la colonisation française, cette région a été un important lieu de recherches pour les ethnologues et notamment pour Marcel Griaule et son équipe. Elle s’est ensuite ouverte au tourisme et les falaises de Bandiagara ont été classées au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1989.
Anne Doquet a effectué plusieurs voyages au Mali et a étudié, en tant qu’anthropologue, la civilisation Dogon.
A cette occasion, elle s’est intéressée aux travaux de Marcel Griaule et en a fait une étude critique.
Les interrogations d’Anne Doquet
Lors de ses premiers travaux dans le pays Dogon, Anne Doquet s’est efforcée de visiter des régions très reculées, éloignées de toute influence occidentale, de la présence des premiers ethnologues et du tourisme, afin de collecter les rituels “les plus purs”.
A cette occasion, elle a été notamment surprise de constater que lors des “danses masquées” et du rituel funéraire, les masques utilisés étaient souvent fabriqués avec du plastique dans les zones reculées alors, qu’au contraire, des matériaux traditionnels étaient employés à Sangha, réputée pourtant pour être une région touristique.
Anne Doquet s’est alors interrogée sur le caractère figé artificiellement de la “culture Dogon” dans les zones les plus touchées par l’intervention des ethnologues. Comme si l’anthropologie avait modifié le regard des Dogons sur eux-mêmes et les avait incités à conserver des rituels conformes à l’idée que s’en étaient faite les ethnologues des années 30 et 40.
Recherches de Marcel Griaule sur la cosmogonie Dogon
Marcel Griaule s’est intéressé très tôt au pays Dogon où il a séjourné plusieurs années. Il a participé, en 1931, à la “mission Dakar-Djibouti” et il est retourné sur place à la veille de la seconde guerre mondiale, puis après guerre.
Plusieurs administrateurs coloniaux avaient connaissance d’une religion locale et Marcel Griaule a tenté d’en savoir plus sur la cosmogonie Dogon.
De fait, dans les années 30 et 40, la religion Dogon a été la plus étudiée en Afrique subsaharienne. Le centre de ces travaux était la région de Sangha. Les ethnologues ont notamment travaillé sur le lien entre les masques et la cosmogonie.
Marcel Griaule a décrit la mythologie Dogon qui repose sur un dieu unique, des génies et des esprits. Il a publié “Masques Dogons” en 1938, “Dieu d’eau” en 1948 et un ouvrage posthume, “Renard pâle”, en 1965.
“Dieu d’eau”
En 1946, Marcel Griaule est retourné dans le pays Dogon afin d’effectuer des vérifications et de compléter ses connaissances concernant la mythologie Dogon. A cette occasion, il a rencontré par hasard un vieux chasseur aveugle nommé Ogotemmeli qui l’a “initié” au cours de 33 journées d’entretiens. L’ouvrage “Dieu d’eau” repose sur ces entretiens.
L’ethonologue a recueilli le savoir de ce “maître” et il est arrivé à relier entre eux tous les éléments dont il disposait en démontrant leur cohérence, ainsi que toute leur complexité, ceci malgré les différences constatées par rapport aux collectes antérieures.
L’ouvrage présente, dans une première partie, les principes de la genèse de l’univers, les origines de la culture et des institutions, ou le classement des choses terrestres et, dans une seconde partie, des questions/réponses.
Interrogations sur la méthodologie employée par Marcel Griaule
Marcel Griaule a beaucoup œuvré pour le pays Dogon. Il a notamment été l’instigateur de la construction d’un barrage d’irrigation qui a permis le développement agricole. Et l’on peut penser que sa bonne connaissance de la population, ainsi que sa popularité lui a facilité l’accès à “l’initiation”.
Chez les Dogons, il existe, en effet, quatre couches du savoir et Marcel Griaule aurait pu ainsi accéder à ces différentes strates.
Pour autant, un certain nombre d’interrogations demeurent quant à la méthodologie employée par Griaule dans ses travaux : comment expliquer que les informations contenues dans ses fiches de travail se retrouvent classées dans “Dieu d’eau” selon une logique différente ? Comment expliquer que Griaule arrive à retrouver une cohérence dans les propos de son informateur même lorsque celui-ci se contredit ? Quelle influence a eu l’interprète de l’armée, ainsi que les collaborateurs de Griaule dans ses travaux ? Y-a-t-il eu d’autres informateurs qu’Ogotemmeli et quel a été leur rôle exact ? N’ont-ils pas réinterprété les mythes en fonction de ce qu’ils pensaient être l’attente de Griaule ?
Par ailleurs, il convient de signaler qu’il existait de longue date, dans la région, une forte influence musulmane, ainsi qu’une mission protestante qui ont pu avoir une influence notable sur les croyances des Dogons et modifier ainsi le caractère “authentique” des éléments collectés.
Enfin, Griaule avait l’habitude de réordonner les données avec une certaine obsession de l’ordre et de la logique. Dès lors, n’a t-il pas été tenté de réinterpréter certaines informations pour les faire rentrer dans une interprétation logique ?
Les limites des travaux des ethnologues
Dans les années 30, les ethnologues utilisaient des techniques d’aveu pour collecter leurs informations. Ensuite, les méthodes d’interrogation ont évolué. Pour autant, toutes les techniques d’interrogation employées sont susceptibles de modifier la réalité.
Dans le cas des rituels Dogons, la complexité des éléments collectés, notamment le caractère extrêmement structuré de l’astronomie, telle qu’elle a été décrite, peut laisser penser que les ethnologues ont rajouté des interprétations personnelles. Cela a sans doute conduit à l’idée que la cosmogonie Dogon avait un caractère exceptionnel.
Pourtant, une telle complexité semble impossible à conserver avec la seule tradition orale.
Aujourd’hui, dans le milieu des anthropologues, les travaux de Marcel Griaule sont critiqués. Certes, Griaule n’a pas tout inventé, mais l’analyse des notes de terrain ont montré qu’une partie de l’ethnologie Dogon était une construction.
Enfin, on peut regretter que l’étude de la société Dogon ait été complètement arrêtée pendant près de 40 ans jusqu’en 1982, et que l’ensemble des travaux se soit centré sur la religion sans analyser les autres aspects de la société : économie, vie politique, ou autre.