Résumé de la conférence de Dominique Desjeux au Cercle Ernest Renan le 29 février 2024

Analyse historique (-1200 à +400) et anthropologique de la christianisation de l’Empire Romain

Introduction

Dominique Desjeux est anthropologue et sociologue, élève de Michel Crozier, et auteur de plusieurs ouvrages. Il a notamment écrit “Le marché des Dieux” qui explique comment naissent les innovations religieuses.

Il est spécialiste de l’analyse stratégique et ses travaux portent, notamment, sur l’organisation, l’analyse du changement et l’innovation.

La présente conférence a pour objectif de présenter une approche permettant d’expliquer “comment le christianisme a réussi ?”, cette approche reposant sur l’analyse du changement.

Contexte général

Il n’existe pas de société sans croyance. Et ces croyances, notamment religieuses, s’analysent par rapport à la protection qu’elles apportent dans la vie et par rapport à la mort. Le monothéisme, ou plus précisément l’existence d’un dieu dominant (hénothéisme), a pour origine l’ancienne Egypte avec Akhenaton et le culte du dieu du soleil : Rê. Il s’agit, à ce moment-là, d’une rupture fondamentale dans la religion avec ce dieu unique. On peut penser que Moïse a été influencé par cette nouvelle religion née en Egypte.

Les crises de l’histoire

Les crises sociales ont eu une influence forte dans l’évolution des religions.

Les grands moments de changements en matière religieuse et dans les sociétés sont, en effet, liés à des crises climatiques, des épidémies, des guerres, des difficultés économiques, … Ces crises font partie de l’histoire et l’on peut en identifier cinq qui ont conduit à la christianisation de l’Empire Romain.

La crise du cuivre

La première grande crise qui touche le bassin méditerranéen concerne l’exploitation du cuivre qui vient à manquer en raison de sa forte utilisation (civilisation mycénienne). Les régions les plus riches ont ainsi, selon la croyance, un dieu puissant qui les protège. La religion est perçue d’abord comme une question d’utilité. Il existe un lien fort entre croyance et efficacité. Un dieu puissant doit être protecteur, sinon on en change. Ainsi, Yahvé, un dieu du sud d’Israël est considéré comme puissant et protecteur.

 

La crise de l’exil

L’exil des juifs de Babylone touche une importante population estimée à 250 000 individus. L’affirmation du monothéisme juif, sous influence babylonienne, date de cette époque.

La crise de la domination grecque

Au IVe siècle avant Jésus-Christ, sous la domination grecque autour de la Méditerranée, le monothéisme juif prend son essor. Il est porté par le développement de la diaspora juive qui fait du commerce dans tout le bassin méditerranéen, par le prosélytisme et par la langue commune, la Koinè. Les principaux débats de cette époque tournent autour de la vie éternelle et de la circoncision.

Plusieurs groupes juifs apparaissent dont les Sadducéens (prêtres du temple), les Pharisiens qui ont protégé les textes du temple dans les grottes de Qumrân, les Zélotes qui sont des nationalistes, les Esséniens. A priori, Jésus faisait partie de l’un de ces quatre groupes. Il était vraisemblablement un pharisien.

La crise de la destruction du second temple de Jésusalem

La destruction du second temple en l’an 70 de notre ère constitue, pour le judaïsme, un enjeu de survie. Certains juifs estiment que cette survie de la religion nécessite de se recentrer sur la Torah et ses 613 règles. D’autres, au contraire, pensent qu’il faut simplifier les règles en se revenant aux bases de la religion, en plus de la promesse de la vie éternelle.

Après la destruction du temple, la population juive diminue de manière importante en passant de 7 (ou 5 millions) à 2 (ou 1 millions) en 500 ans. Pour les rabbins, pour être un bon juif, il est nécessaire d’aller à l’école. Du fait, en raison des règles compliquées de la religion, les juifs sont une population éduquée. Mais comme les cultivateurs juifs ne vont pas à l’école, ils préfèrent se tourner vers une sorte de “judaïsme simplifié”. Les chrétiens sont issus de cette scission au sein des juifs. Le christianisme va ensuite se développer autour des grecs.

La crise monétaire de l’empire romain du IVe  siècle

Cette crise constitue un facteur de succès déterminant du christianisme. La monnaie romaine ne valant plus rien, l’empereur Constantin souhaite trouver un moyen de revaloriser sa monnaie afin de payer ses soldats. En adoptant le christianisme (édit de Milan), il peut aisément piller les temples des autres religions et s’approprier leurs richesses, ce qui va lui permettre de frapper une nouvelle monnaie, le “Solidus”.

Le concile de Nicée va ensuite créer des règles, c’est-à-dire une sorte de “standard”, qui va favoriser encore plus le développement du christianisme dans l’Empire.

 

NB : la présentation du Professeur Desjeux est disponible dans la partie de ce site réservée aux adhérents

 

 

le CER a reçu Julien Théry sur le thème du rôle des persécutions religieuses dans la formation des États modernes

Résumé de la conférence de Julien Théry au Cercle Ernest Renan

le 11 janvier 2024

Le rôle des persécutions religieuses dans la formation des États modernes : le cas français (v. 1200-v.1700)

Introduction

Julien Thery est un historien français, professeur des universités et spécialiste de l’histoire médiévale. Il a été le traducteur de Robert Ian Moore, historien britannique, spécialiste de l’histoire du Moyen Âge et auteur notamment de l’ouvrage : “The Formation of a Persecuting Society : Power and Deviance in Western Europe, 950-1250”.

Dans le cadre de sa conférence, Julien Thery développe la thèse selon laquelle les États modernes d’Occident sont devenus des sociétés persécutrices envers les minorités, en relation avec le développement de pouvoirs centralisés issus notamment de l’Église Catholique.

La naissance des États modernes

Les États d’Occident vont se développer, sous leur forme moderne, à partir du Moyen Âge central. Le fonctionnement de ces appareils étatiques va prendre comme modèle les institutions ecclésiastiques issues des réformes du Pape Innocent III qui a mis en place une théocratie pontificale et qui a renforcé l’autorité du Saint-Siège.

Lorsque l’institution romaine aura perdu les moyens de ses ambitions universelles, ce sont les entités séculaires, notamment en France avec Philippe le Bel ou en Angleterre avec Edouard VIII, qui vont revendiquer leur légitimité et continuer de fonctionner en restant marqués par leurs origines religieuses catholiques.

L’une des caractéristiques du fonctionnement de ces institutions sera la capacité d’agir et de décider de la situation d’exception et d’identifier des minorités qui seront pourchassées et réprimées pour les empêcher de nuire.

Cette forme de répression est nouvelle et va s’exercer d’abord envers les hérétiques qui constituent un danger pour la chrétienté, puis les juifs (massacres et expulsions à la fin du 12ème siècle), les lépreux, les homosexuels et plus tard les sorcières.

Au 13ème siècle, ces minorités seront même accusées d’empoisonner des puits ou de meurtres d’enfants.

Le rôle des persécutions

Selon l’hypothèse de Moore, l’essor des persécutions correspond exactement à la période où sont créés les pouvoirs centralisés. L’éclatement du monde Carolingien, qui reposait sur un mode de gouvernance relativement souple et décentralisé, laisse la place à des institutions princières et royales fortes qui soumettent les autorités féodales locales et les seigneuries.

C’est en Angleterre que ce phénomène va d’abord se développer, il gagnera ensuite la France et le Portugal. Un conflit avec la Papauté va rapidement intervenir car, jusque-là, la monarchie pontificale tenait et administrait ces différents royaumes.

Les modalités de persécution issues de l’Église vont s’étendre aux différents États d’Occident. Les pouvoirs en place veulent, en effet, pouvoir intervenir dans les communautés et le système de représentation politique inventé dans les États Pontificaux va s’étendre avec la mise en place de chartres avec les représentants des  communautés pour prendre leur contrôle. Ce sera notamment le cas des corporations de métiers.

La procédure inquisitoire

Au niveau judiciaire, les techniques d’enquête vont également prendre modèle sur la tradition ecclésiastique inquisitoire. La procédure inquisitoire vise à rechercher la vérité absolue. L’Église peut ainsi engager des poursuites sur la seule foi du témoignage de notables, témoins de chrétienté, même s’il n’y a pas de tiers accusateur. Le ministère public pourra dorénavant engager les poursuites dans le seul intérêt de l’Église ou du roi. Cette procédure va à l’encontre du droit romain où il n’existe pas de vérité absolue et où l’on juge en fonction des seules preuves présentées au procès, et non pas selon sa conscience.

L’Inquisition, qui naîtra par la suite, est une juridiction d’exception qui vise à défendre l’intérêt public et être au service de la foi. L’objectif du juge est uniquement d’établir la vérité à partir des éléments dont il dispose et de sa conscience, ceci sans que l’accusé ne puisse réellement se défendre. Plus tard, le combat des Lumières visera à mettre fin à l’arbitraire dans lequel la défense n’a aucun droit.

Les premiers à pâtir de la pratique inquisitoire ont été les prélats avec la possibilité, pour un moine ou un abbé, de dénoncer un évêque par exemple. Cette approche permettait de contrôler la hiérarchie ecclésiastique et de combattre les mouvements évangéliques.

L’accusation d’hérésie sera ensuite utilisée comme une ressource, notamment par Philippe le Bel qui, en s’attaquant aux Templiers et en déclarant ainsi une grande victoire de la foi, s’est attaqué en fait à l’autorité du Pape et a fait acte d’absolutisme.

Conclusion

On peut ainsi conclure que la chasse contre l’ennemi intérieur est l’un des principaux moteurs du fonctionnement des pouvoirs centralisés. Cette logique persécutrice a été mise en place, à l’origine, par la théocratie pontificale et ensuite a été reprise par les pouvoirs royaux, et notamment l’État français, afin de conforter leur autorité.

La question de la menace de l’ennemi intérieur et la capacité des appareils d’État à décréter l’exception restent, encore aujourd’hui, des réalités.

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Julien Théry : Historien. Religion & politique, gouvernement & résistances depuis le Moyen Âge latin.

Il est titulaire d’une mâitrise (Paris I Sorbonne, 1994), agrégé en histoire (1995), d’un DEA (Université Lyon II Lumières, 1998), archiviste paléographe, diplômé de l’École des Chartes (1996-1998), il a soutenu sa thèse intitulée : La parole aux albigeois : le procès de Bernard de Castanet, évêque d’Albi (1307-1308) (mars. 2000).
Docteur en histoire de l’Université de Lyon 2, il soutient sa thèse intitulée,
Fama, enormia : l’enquête sur les crimes de l’évêque d’Albi Bernard de Castanet (1307-1308) : gouvernement et contestation au temps de la théocratie pontificale et de l’hérésie des bons hommes (déc. 2003). Ancien membre de l’Ecole française de Rome (2004).
Il est professeur en histoire de l’Occident médiéval à l’Université Montpellier 3 (depuis 2011) et l’Université Lyon II Lumières (CIHAM)(2016-2020)

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dernièrement : Les hérétiques « cathares » (PUF, à paraître, mai 2020) , Le livre des sentences de l’inquisiteur Bernard Gui (CNRS, janv. 2018)
et de nombreux articles et contributions scientifiques consacrés l’histoire médiévale.

Il anime l’émission d’histoire « La Grande H. » sur la chaîne média digital LeMédiaTV.

Michel Castro nous parle de la Nouvelle Théologie

Résumé de la conférence de Michel Castro au Cercle Ernest Renan

le 26 octobre 2023

Entre crise moderniste et Vatican II, la Nouvelle Théologie pour réconcilier église et modernité

Introduction

Michel Castro est un prêtre catholique, docteur en théologie, ancien professeur à la faculté de théologie de Lille et aujourd’hui vicaire en paroisse. Il se propose d’évoquer, lors de cette conférence, la “Nouvelle Théologie” qui est un courant de pensée catholique apparu dans la première moitié du 20ème siècle. Cette Nouvelle Théologie prend ses distances avec la théologie scolastique, qui est alors enseignée, ainsi qu’avec les approches dogmatiques. Michel Castro évoque le jésuite Henri Bouillard qui est l’un des protagonistes de la Nouvelle Théologie et aussi l’une de ses “victimes”.

La restauration Thomiste

La restauration thomiste date d’une encyclique de Léon XIII de 1879 qui recommande l’enseignement scolastique. Par la suite, Pie X condamne le modernisme et fait du thomisme l’orthodoxie à observer. Cette approche dogmatique repose sur une présentation autoritaire, sans souci de vérification critique. Elle vise à actualiser le sens du message chrétien avec deux objectifs : conquérir les consciences, puis ensuite défendre le catholicisme durant une période troublée par la crise moderniste. L’enseignement romain va consacrer le thomisme jusqu’à Jean XXIII. Il repose sur des moyens institutionnels (congrégations et instituts romains, séminaires internationaux à Rome) et des moyens humains (le théologien Charles Boyer sera un fervent défenseur du thomisme). Cet enseignement néo-scolastique repose sur des professeurs qui rédigent des manuels de théologie, souvent écrits en latin, et qui imposent une manière de penser déductive qui permet de “raisonner juste” face aux “déviances”. Le théologien Réginald Garrigou-Lagrange ira jusqu’à affirmer que “les faits, c’est pour les crétins”. Cette théologie romaine s’appuie sur Saint Thomas d’Aquin pour expliquer la rationalité de la foi. Elle est reproductive et répétitive. Elle s’oppose aux “déviants” comme Descartes, Rousseau, Freud, Sartre, Nietzsche, …

Application de la méthode historique aux écrits de Saint Thomas d’Aquin

La découverte de la méthode historique appliquée aux écrits de Saint Thomas d’Aquin sera à la base de la Nouvelle Théologie. Elle sera portée par des prêtres, mais également des intellectuels laïcs (les “théologiens en veston”) comme Etienne Gilson.

L’idée est de remettre les écrits de Saint Thomas d’Aquin dans leur contexte historique et de revenir aux écrits de Saint Thomas lui-même et non à ceux de ses commentateurs. Les jalons de l’approche herméneutique sont posés et conduisent à distinguer le thomisme de Thomas lui-même et le thomisme de ses commentateurs.

C’est notamment au couvent dominicain du Saulchoir que va se développer cette critique historique portée par les écrits de Pierre Mandonnet ou de Marie-Dominique Chenu (“un théologien en liberté”).

Le père Marie-Joseph Lagrange a appliqué la méthode historique à l’étude de la Bible. Il sera soupçonné de modernisme et vivement critiqué avec interdiction de publication et blâmes. Sa méthode sera condamnée par le pape Benoît XV en 1920.

Lorsque Marie-Dominique Chenu utilisera cette même méthode historique pour l’étude des écrits de Saint Thomas, cette approche sera, à nouveau, contestée par les plus hautes autorités ecclésiastiques. Cela conduira à la compromission du Saulchoir, ainsi que des Jésuites de Fourvière.  L’encyclique Humani Generis du pape Pie XII en 1950 “sur quelques opinions qui menacent de ruiner les fondements de la doctrine catholique” viendra clore provisoirement cette polémique.

Conversion de grâce chez Saint Thomas d’Aquin

Henri Bouillard, dans sa soutenance de thèse à Fourvière (“Conversion et grâce chez Saint Thomas d’Aquin”), explique les principes de sa méthode de travail. Il met l’accent sur le rôle de l’homme dans la conversion et il soutient que Saint Thomas n’a pas le même point de vue, quant à l’articulation entre nature et grâce, du début à la fin de sa vie. Ainsi, Bouillard explique que la pensée de Saint Thomas ayant évolué au cours de sa vie, il faut s’astreindre à étudier ses œuvres dans l’ordre. De même, il insiste sur la nécessité de situer l’auteur dans son temps. Bouillard manifeste ainsi que la théologie est historiquement située, même si la vérité divine est permanente.

Il suggère la pluralité du thomisme, ce qui va à l’encontre des thèses d’intemporalité du thomisme enseignées par l’autorité ecclésiastique de cette époque.

L’affaire de Fourvière

L’affaire de Fourvière se déclenche à partir de 1945 et conduit à de graves sanctions à l’encontre des tenants de la méthode historico-critique soupçonnés de modernisme (le père Henri de Lubac, Bouillard, Durand, Henri Rondet). Ils sont démis de leurs fonctions, interdits d’enseignement et leurs ouvrages sont retirés des bibliothèques.

L’encyclique Humani Generis réaffirme l’autorité des magistères en matière de foi et prône un retour aux sources pour exprimer le dogme dans des notions philosophiques actuelles. Ceci constitue une mise au pas des Jésuites de Fourvière.

Conclusion

La Nouvelle Théologie est au centre de l’affrontement entre théologie dogmatique et théologie herméneutique. Contre la restauration thomisme, l’application de la méthode historique consacre la théologie herméneutique.

L’affaire de Fourvière constitue une victoire toute provisoire de la théologie dogmatique. Celle-ci sera remise en cause lors de Vatican II qui jouera un rôle majeur dans l’ouverture vers l’historicité.

On peut considérer que Bouillard incarne un tiers parti entre les réactions moderniste et dogmatique. Il devra, en effet, batailler sur deux fronts :

  • contre le dogmatisme,
  • contre le radicalisme des progressistes.

Il propose un thomisme vivant qui prend à bras le corps les problèmes de son temps.

A noter qu’aujourd’hui, seuls les milieux traditionalistes, au sein de l’église, ont conservé la vision dogmatique.

 

Frédéric Gugelot : se convertir à Dieu au 20ème et au 21ème siècles

Résumé de la conférence de Frédéric Gugelot au Cercle Ernest Renan

le 22 juin 2023

Se convertir à Dieu au 20ème  et au 21ème siècles

Introduction

Frédéric Gugelot est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Reims, spécialiste d’histoire culturelle et religieuse. Ses travaux de recherche portent notamment sur la conversion au catholicisme de la part des intellectuels.

Son constat, que l’on retrouve également chez Danièle Hervieu-Léger dans “Le pélerin et le converti, la religion en mouvement” est que la religion, loin de disparaître au sein de nos sociétés sécularisées et laïques, au contraire se développe selon de nouvelles formes où la figure du converti l’emporte sur celle, classique, du pratiquant. Ainsi, la montée de l’individualisation n’a pas fait disparaître la foi.

Pourtant, en 1908, dans un célèbre discours, René Viviani alors ministre du travail annonçait fièrement que la science avait vaincu la foi : “Nous avons arraché les consciences humaines à la croyance… Nous avons éteint dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera plus !”

Alors, comment expliquer ce regain d’intérêt pour la religion et l’augmentation du nombre de nouveaux convertis ?

La défiance vis à vis du nouveau converti

Traditionnellement, les églises se méfient des nouveaux convertis. C’était le cas de l’église catholique au début du 20ème  siècle, ceci malgré les difficultés qu’elle rencontrait à cette époque. Autrefois, on suivait la religion de ses pères et celle-ci n’était pas accueillante pour le converti qui attirait la défiance et pouvait être considéré comme une sorte de traître ou d’apostat dont on doutait de l’authenticité de la foi : “Dès que quelqu’un se convertit à quoi que ce soit, on l’envie tout d’abord, puis on le plaint, ensuite  et on le méprise” (Emil Cioran).

Ainsi, dans le judaïsme, le converti ne peut pas devenir rabbin. Dans l’empire Espagnol, les marranes, qui avaient conservé leurs traditions juives, étaient méprisés. Les crypto-chrétiens dans l’empire Ottoman qui masquaient leur véritable religion, comme les chrétiens cachés du Japon qui conservaient des pratiques clandestines ou souterraines étaient pourchassés.

Aujourd’hui pourtant, on assiste à beaucoup de baptêmes d’adultes qui sont souvent mis en scène à Pâques à des fins de communication.

Le converti dérange les héritages historiques, mais il est valorisé de nos jours car il redonne un sens et une vigueur à la pratique religieuse. Le récit de la conversion devient une sorte de propagande, les convertis venant remplacer les martyrs dans l’imaginaire collectif.

Pourquoi se convertir au 20ème siècle ?

Un état de mal-être est très souvent à l’origine de la conversion. Ce mal-être peut avoir une origine personnelle ou être lié à l’état de crise de la société.

C’est la quête de sens qui explique ainsi l’adhésion au catholicisme d’un certain nombre d’écrivains et d’intellectuels dans un 20ème  siècle pourtant largement sécularisé. C’est le cas d’Huysmans, d’Ernest Psichari, de Max Jacob, de Charles de Foucauld…

L’adhésion au catholicisme s’explique notamment par la recherche d’un idéal de vie intérieure et par la volonté de réalisation de soi. Mais elle a également pour origine la quête d’un ordre intérieur ou politique, l’église étant considérée comme une discipline.

Le converti passe ainsi d’une fausse religion à la foi. C’est un changement radical qui ne concerne pas uniquement le phénomène religieux. Non seulement on change de foi, mais surtout on cherche à acquérir une foi dans laquelle on se reconnaît.

Le retour à la religion permet de rejeter un monde marchand, sans âme et sans valeurs. On se rattache ainsi à la France d’hier en restant fidèle aux pères de nos pères. La religion offre un débouché et permet l’accomplissement de soi. La communion agit comme un médicament : “l’hostie doit être prise comme un cachet d’aspirine” (Max Jacob répondant ainsi à Jean Cocteau).

Mais le problème du converti, c’est de ne pas rester seul et de pouvoir appartenir complètement à la communauté. Pour cela, Paul Claudel avait créé une “coopérative de prière” avec l’édition d’un bulletin permettant d’aider les convertis à renforcer leur foi.

Questions/réponses : les conversions aux “autres religions”

Du côté du protestantisme, on observe, à la fin du 20ème  et au début du 21ème siècle, l’émergence des évangélistes qui prennent une place de plus en plus grande notamment en Amérique Latine, en Afrique ou en Corée.

Le judaïsme n’est pas en reste. Il ne s’agit pas d’une religion fermée, mais elle ne communique pas sur la conversion. Pourtant celle-ci a toujours été possible. Le judaïsme était accessible à l’époque Romaine (au 3ème  et 4ème  siècle après Jésus-Christ). Et au 19ème  siècle il y aura autant de juifs qui se convertiront au christianisme que de chrétiens se convertissant au judaïsme, souvent à la suite de mariages.

Dans l’islam, la montée récente du fondamentalisme peut s’expliquer par un rejet du monde tel qu’il est.

La conversion à une secte relève de la même quête de sens que la conversion à une religion. Le 20ème  siècle est, en effet, une période de “crise du récit” avec l’émergence de “récits alternatifs”. Ainsi, en 1944, Raymond Aron parle de “religions séculières” à propos du nazisme et du communisme, avec le culte du chef et même ses hérétiques comme les trotskystes.

La montée des conversions s’accompagne de deux courants : l’un libéral, l’autre identitaire qui veut lutter contre la décadence du pays et la décadence religieuse. Ce courant identitaire est généralement en lien avec les idéologies de droite : la poussée de l’islam rappelle que l’on est catholique et la crise sociétale conduit à rechercher l’ordre individuel et collectif.

Résumé de la conférence de Jean-Pierre Castel au Cercle Ernest Renan le 11 mai 2023 La science moderne est-elle d’origine chrétienne, hellénistique, ou autre ?

Introduction

Pour un scientifique, la science n’a pas d’origine chrétienne. Pourtant, le philosophe Alexandre Kojève défend la thèse de “l’origine chrétienne de la science moderne” dans son ouvrage éponyme paru en 1964. Pour lui, le christianisme n’a pas fait obstacle à la révolution copernicienne. Au contraire, le christianisme a créé les conditions favorables à son développement.

Cette thèse étrange est plus répandue qu’on ne le croit et nombre d’intellectuels du 20e  siècle ont défendu cette idée.

 

Origines de la révolution scientifique

La science, telle que nous l’entendons aujourd’hui, a démarré chez les Grecs avec le principe de la preuve et les mathématiques.

Mais les Grecs ne disposaient pas de toutes les notions élémentaires permettant de résoudre la question du mouvement et donc ne pouvaient répondre à l’interrogation : “par quoi sont mus les projectiles (et les planètes) ?”

La science hellénistique avait remis en cause nombre d’interdits aristotéliciens, mais elle était restée géométrique, spatiale, et l’opposition aristotélicienne entre le repos, un état, lié à l’espace, et le mouvement, un processus, lié au temps, n’avait pas été questionnée.

L’histoire de la science n’est pas linéaire. La science grecque atteignit son apogée à l’époque hellénistique, notamment avec Archimède. Une partie de la science grecque a été préservée par le monde arabo-musulman. La science européenne a, quant à elle, redémarré avec la “Reconquista”. L’Europe redécouvrit alors la Physique d’Aristote, puis, à la Renaissance, certains textes d’Archimède.

Les contributeurs à la révolution scientifique moderne sont venus de toute l’Europe chrétienne, sauf d’Espagne en décadence depuis l’Inquisition.

 

La révolution scientifique du 17e siècle, portée par Copernic, Kepler, Galilée, Descartes, Newton, … a été l’une des plus importantes révolutions de l’esprit humain depuis l’invention du cosmos ou la révolution néolithique.

Le principal résultat de la révolution scientifique a été la résolution de la question du mouvement, restée énigmatique depuis Aristote (la force chez Aristote était liée à la vitesse, Newton montrera qu’elle est liée à l’accélération ; avec le concept d’énergie, qui ne sera dégagé qu’au XIX siècle, on peut dire qu’Aristote confondait la force et l’énergie). Avoir résolu la question du mouvement a ensuite rendu possible la révolution industrielle.

 

Révolution galiléo-newtonienneet science aristotélicienne

La révolution scientifique du XVIIe  siècle a annulé la science aristotélicienne.

Chez Aristote et chez les Grecs, l’Univers est fini et la notion de vide n’existe pas. Les orbites sont circulaires et le zéro n’est pas une notion connue. Le repos est un état attaché à un lieu et le mouvement est un processus attaché au temps. Enfin, donner une force entraîne une vitesse.

Au contraire, chez Newton, l’Univers est homogène et mathématisable. Et l’opposition entre repos et mouvement est restée acquise jusqu’à Copernic.

Galilée découvrit le principe d’inertie, qui pose l’équivalence du repos et des mouvements rectilignes et uniformes. La loi d’inertie marque le début de la physique moderne.

Le zéro et la mesure du temps

Le zéro provient des arabes et a été introduit en Europe  par les marchands. Les Grecs ne connaissaient pas cette notion. De plus, la notion d’infini associée à la mathématisation avait une connotation négative chez les Grecs.

La science moderne a pris le temps, et non plus l’espace, comme variable fondamentale du mouvement : la loi de la chute des corps est, de fait, la première loi de la nature exprimée en fonction du temps. On ne disposait pourtant pas, à cette époque, d’instruments de mesure du temps plus sophistiqués que ceux des Grecs. Mais une nouvelle conscience du temps, un temps abstrait et uniforme, s’était installée depuis la fin du Moyen-Âge, à l’occasion de la diffusion des horloges mécaniques, du développement du salariat et de la finance.

Ainsi, l’innovation majeure de la révolution scientifique n’est pas, comme le prétend la doxa, la mathématisation de l’espace, déjà acquise depuis Archimède, mais la mathématisation du temps. Et tous les nouveaux concepts de la physique newtonienne (vitesse, accélération, inertie, force, attraction universelle, existence du vide) sont des concepts d’abord physiques.

Science moderne et monde chrétien

La science moderne est, effectivement, née dans le monde chrétien. Pour autant, aucun rapprochement n’existe entre cette science moderne et les concepts chrétiens.

La science moderne n’a eu aucun besoin de l’infiniment grand, que nombre d’auteurs associent au concept de toute-puissance divine. Quant à l’infiniment petit et du calcul infinitésimal, il n’a eu besoin que du zéro et de la notion de limite.

Un autre argument pour expliquer l’origine chrétienne de la science moderne est la désacralisation du monde qui aurait permis d’une étude rationnelle du monde. Cependant, la désacralisation abrahamique du monde n’est qu’un interdit religieux, et non pas une libération de la pensée. Ni la science grecque, ni la science hellénistique n’en avaient d’ailleurs eu besoin.

Certains ont également soutenu d’autres principes censés démontrer l’origine chrétienne de la science moderne. Mais aucun n’est réellement convainquant.

Ainsi, on explique que la chrétienté est la plus rationnelle des religions. Certains ont aussi soutenu que l’incarnation chrétienne avait permis de faire descendre les mathématiques sur terre (comme si les mathématiques étaient divines). Et puis, d’autres prétendent que les horloges ont été inventées dans les monastères.

Ce que l’on peut retenir, c’est que la science et la religion sont des démarches de nature foncièrement différente : les vérités de la religion sont des vérités d’autorité, les vérités visées par la science sont des vérités rationnelles. Certains considèrent que la religion a « couvé” la science, l’a aidée dans son émergence, mais une telle image relève de la même confusion entre vérité d’autorité et vérité rationnelle.

Existe-t-il d’autres racines possibles à la science moderne ?

Les civilisations grecques et chrétiennes n’ont pas l’exclusivité des découvertes scientifiques. Pour autant, la grande spécificité de la science grecque, c’est la démonstration qu’on ne retrouve dans aucune autre civilisation.

De plus, la science moderne est fille de la civilisation grecque qui s’attachait surtout à la permanence des choses, par opposition à la civilisation chinoise qui privilégie le changement.

Égyptiens et Chinois sont pourtant à l’origine de nombreuses découvertes, mais issues de processus empiriques.

Le Judaïsme, insisté sur la notion de temps (processus en 6 jours). Le judaïsme est une religion du temps et du mouvement avec une promotion de l’inaccompli. Mais ce dont la science moderne avait besoin, c’est d’un temps uniforme, de moins l’infini à plus l’infini, pour qu’il soit mesurable et mathématisable, toutes notions complètement absentes, voire rejetées par le temps judéo-chrétien, qui va de la Création au Jugement Dernier.

On peut enfin envisager, même si cela reste largement discutable, que le capitalisme a joué un rôle dans le développement de la science moderne. En effet, le zéro et le temps mesurable sont des notions qui ont été largement utilisées et diffusées, par les marchands.