Résumé de la conférence de Stéphane Lavignotte au Cercle Ernest Renan
le 27 avril 2023
“Crise écologique : Les imaginaires religieux, problème et ressources ?”
Introduction
Stéphane Lavignotte est pasteur de la Mission Populaire Evangélique à Montreuil. Il est issu d’une famille non croyante et il a exercé 10 ans comme journaliste avant de devenir pasteur. Il s’est occupé de l’accueil de sans papiers dans un temple et il milite pour la cause écologique.
Stéphane Lavignotte réfute la vision dichotomique qui oppose foi et écologie et considère que les deux peuvent se développer en parallèle.
Il s’oppose à l’analyse simpliste qui voudrait que puisque la société occidentale est issue du christianisme et qu’elle est devenue hostile à la nature, alors ce serait le christianisme qui serait à l’origine de la crise écologique.
Pour lui, aller vers plus d’écologie nécessite de faire évoluer en parallèle :
-Les structures de la société (le capitalisme)
-Les modes de vie (par exemple aller vers l’utilisation des mobilités douces)
-Les valeurs et les imaginaires (éducation, rapport au temps, rapport à la religion, …)
Comment la religion peut s’opposer à l’écologie ?
Plusieurs éléments peuvent être mis en avant pour expliquer que la religion, et plus spécifiquement le christianisme, a eu une influence négative sur la nature.
Deux auteurs importants se réfèrent à la religion pour expliquer les origines de la crise écologique :
-D’une part Lynn White aux USA qui est un historien médiéviste, protestant presbytérien. Il a publié en 1966 un article dans la revue Nature : “Les sources historiques de la crise écologique”. Il se réfère aux textes de la Genèse qui portent une vision anthropocentrique de la chrétienté : l’Humain est au sommet de la nature, il la domine, avec un monde à sa disposition.
-D’autre part Carl Amery qui se réfère à Noé et au fait que tout dans la nature serait à la disposition de l’homme.
Par ailleurs, l’évolution du rapport au temps dans la religion a joué contre la préservation de la nature. Dans les anciennes religions, le temps était cyclique avec un retour constant sur les saisons et la nature. Alors que dans le christianisme et le judaïsme, il existe une vision linéaire avec l’avant (le Paradis), le temps présent qui est un temps de progrès et l’après (le Royaume). Et toucher à la nature peut être considéré comme un moyen d’anticiper le Royaume.
La lutte contre le paganisme dans les débuts du christianisme a aussi contribué à détruire le rapport à la nature. On a combattu “l’esprit du lieu”, par exemple en coupant les chênes sacrés.
Thomas d’Aquin a considéré que la question du salut concernait exclusivement les hommes et non les plantes ou les animaux. La nature avait donc moins de considération que l’Homme.
La modernité, notamment avec Descartes, Bacon ou Malebranche, peut également être mise en cause dans l’atteinte à la nature. Au Moyen-âge, on avait une vision magique et symbolique du monde. Par exemple, le feu pouvait symboliser la montée de l’âme aux cieux, la fourmi symbolisait le travail ou la passiflore la vision de la passion du Christ. Ensuite, on a commencé à analyser les phénomènes naturels (comme l’Arc en Ciel), d’abord en attribuant à Dieu le fait de faire tourner les mécanismes de la nature, puis en ayant une vision mécaniste et scientifique.
Enfin, la montée du nominalisme avec chaque réalité qui est une réalité autonome a également eu une influence néfaste sur notre rapport à la nature.
Comment changer notre imaginaire pour changer notre rapport à la nature ?
La religion ne s’est pourtant pas systématiquement opposée à la nature et il existe de nombreux chrétiens chez les premiers penseurs de l’écologie.
Plusieurs familles de pensée chrétienne se réfèrent, en effet, à l’écologie :
–Usagère, gérante ou gestionnaire. Dans les années 70, une relecture de la Genèse a essayé de démontrer que l’homme ne domine pas la terre mais qu’il a en charge la gestion d’un territoire sous l’autorité de Dieu. Il est donc responsable devant Dieu et se doit d’agir tel un “jardinier” vis à vis de la nature. Cette approche milite ainsi pour un système “soutenable” vis-à -vis des générations futures avec également une responsabilité du Nord vis-à-vis des pays du Sud.
–Anti-idolâtre. Il existe de nouvelles idoles destructrices pour l’homme et la nature comme l’excès de technique ou l’argent. Un exemple est celui de vouloir remplacer la voiture thermique par le véhicule électrique sans s’interroger sur la nécessité ou non de se déplacer. Cette vision se rapproche de celle des prophètes qui dénoncent les excès, notamment ceux du pouvoir.
–Conviviale. L’homme n’est plus au centre de la nature et plusieurs sortes de vie se côtoient. Chez François d’Assise, il existe une notion de fraternité de tous les vivants (animaux et nature). Par exemple le loup de Gubbio avec lequel on “négocie” et qui sera enterré religieusement après sa mort.
–Relationnel ou naturaliste. Cette vision, qui se retrouve dans l’anthropologie animiste, vise une relation avec la nature pour partager les écosystèmes. –Ruminante. Il s’agit d’une approche anti-industrie (Emerson et Thoreau) ou anti-guerre (Albert Schweitzer) avec une volonté de respect de la vie, une inquiétude vis-à-vis de la déshumanisation, une plongée dans la nature et une expérience charnelle avec celle-ci. L’idée est celle d’une responsabilité par rapport à la nature et à la vie.
Questions et réflexions
-Quelle est la position du protestantisme vis-à -vis de l’écologie ?
On retrouve chez Calvin une doctrine de sobriété sur l’usage des biens terrestres. Mais cette approche présente une ambiguïté. En effet, même si celle-ci prône une consommation “raisonnable”, et donc un respect de la nature, dans le même temps la volonté de valoriser le travail prend le dessus et conduit indirectement à une atteinte à la nature.
Dans la théologie évangélique, plus on donne à Dieu, plus on réussit. Cela peut se traduire par des excès, comme la déforestation pour augmenter les rendements agricoles, qui détruisent la nature.
A l’inverse, dans la théologie de la libération, on intègre une vision écologique de respect de la nature.
-Existe-t-il une nature humaine qui s’opposerait à la nature ou bien s’agit-il d’une construction sociale ?
Les outils sont utilisés par l’homme pour domestiquer la nature. Mais certains peuples premiers n’ont pas voulu construire d’outils. On peut donc en conclure qu’il n’existe pas de “nature humaine”, mais une socialisation profonde qui nous fait voir les choses de manière spécifique selon les lieux et les époques.
A noter, par ailleurs, que les hommes sont confrontés à 3 types d’angoisses :
-la mort
-la damnation
-existentielle (à quoi sert la vie)
Cette dernière est directement liée au rapport que l’homme a avec la nature.