Frédéric Gugelot : se convertir à Dieu au 20ème et au 21ème siècles

Résumé de la conférence de Frédéric Gugelot au Cercle Ernest Renan

le 22 juin 2023

Se convertir à Dieu au 20ème  et au 21ème siècles

Introduction

Frédéric Gugelot est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Reims, spécialiste d’histoire culturelle et religieuse. Ses travaux de recherche portent notamment sur la conversion au catholicisme de la part des intellectuels.

Son constat, que l’on retrouve également chez Danièle Hervieu-Léger dans “Le pélerin et le converti, la religion en mouvement” est que la religion, loin de disparaître au sein de nos sociétés sécularisées et laïques, au contraire se développe selon de nouvelles formes où la figure du converti l’emporte sur celle, classique, du pratiquant. Ainsi, la montée de l’individualisation n’a pas fait disparaître la foi.

Pourtant, en 1908, dans un célèbre discours, René Viviani alors ministre du travail annonçait fièrement que la science avait vaincu la foi : “Nous avons arraché les consciences humaines à la croyance… Nous avons éteint dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera plus !”

Alors, comment expliquer ce regain d’intérêt pour la religion et l’augmentation du nombre de nouveaux convertis ?

La défiance vis à vis du nouveau converti

Traditionnellement, les églises se méfient des nouveaux convertis. C’était le cas de l’église catholique au début du 20ème  siècle, ceci malgré les difficultés qu’elle rencontrait à cette époque. Autrefois, on suivait la religion de ses pères et celle-ci n’était pas accueillante pour le converti qui attirait la défiance et pouvait être considéré comme une sorte de traître ou d’apostat dont on doutait de l’authenticité de la foi : “Dès que quelqu’un se convertit à quoi que ce soit, on l’envie tout d’abord, puis on le plaint, ensuite  et on le méprise” (Emil Cioran).

Ainsi, dans le judaïsme, le converti ne peut pas devenir rabbin. Dans l’empire Espagnol, les marranes, qui avaient conservé leurs traditions juives, étaient méprisés. Les crypto-chrétiens dans l’empire Ottoman qui masquaient leur véritable religion, comme les chrétiens cachés du Japon qui conservaient des pratiques clandestines ou souterraines étaient pourchassés.

Aujourd’hui pourtant, on assiste à beaucoup de baptêmes d’adultes qui sont souvent mis en scène à Pâques à des fins de communication.

Le converti dérange les héritages historiques, mais il est valorisé de nos jours car il redonne un sens et une vigueur à la pratique religieuse. Le récit de la conversion devient une sorte de propagande, les convertis venant remplacer les martyrs dans l’imaginaire collectif.

Pourquoi se convertir au 20ème siècle ?

Un état de mal-être est très souvent à l’origine de la conversion. Ce mal-être peut avoir une origine personnelle ou être lié à l’état de crise de la société.

C’est la quête de sens qui explique ainsi l’adhésion au catholicisme d’un certain nombre d’écrivains et d’intellectuels dans un 20ème  siècle pourtant largement sécularisé. C’est le cas d’Huysmans, d’Ernest Psichari, de Max Jacob, de Charles de Foucauld…

L’adhésion au catholicisme s’explique notamment par la recherche d’un idéal de vie intérieure et par la volonté de réalisation de soi. Mais elle a également pour origine la quête d’un ordre intérieur ou politique, l’église étant considérée comme une discipline.

Le converti passe ainsi d’une fausse religion à la foi. C’est un changement radical qui ne concerne pas uniquement le phénomène religieux. Non seulement on change de foi, mais surtout on cherche à acquérir une foi dans laquelle on se reconnaît.

Le retour à la religion permet de rejeter un monde marchand, sans âme et sans valeurs. On se rattache ainsi à la France d’hier en restant fidèle aux pères de nos pères. La religion offre un débouché et permet l’accomplissement de soi. La communion agit comme un médicament : “l’hostie doit être prise comme un cachet d’aspirine” (Max Jacob répondant ainsi à Jean Cocteau).

Mais le problème du converti, c’est de ne pas rester seul et de pouvoir appartenir complètement à la communauté. Pour cela, Paul Claudel avait créé une “coopérative de prière” avec l’édition d’un bulletin permettant d’aider les convertis à renforcer leur foi.

Questions/réponses : les conversions aux “autres religions”

Du côté du protestantisme, on observe, à la fin du 20ème  et au début du 21ème siècle, l’émergence des évangélistes qui prennent une place de plus en plus grande notamment en Amérique Latine, en Afrique ou en Corée.

Le judaïsme n’est pas en reste. Il ne s’agit pas d’une religion fermée, mais elle ne communique pas sur la conversion. Pourtant celle-ci a toujours été possible. Le judaïsme était accessible à l’époque Romaine (au 3ème  et 4ème  siècle après Jésus-Christ). Et au 19ème  siècle il y aura autant de juifs qui se convertiront au christianisme que de chrétiens se convertissant au judaïsme, souvent à la suite de mariages.

Dans l’islam, la montée récente du fondamentalisme peut s’expliquer par un rejet du monde tel qu’il est.

La conversion à une secte relève de la même quête de sens que la conversion à une religion. Le 20ème  siècle est, en effet, une période de “crise du récit” avec l’émergence de “récits alternatifs”. Ainsi, en 1944, Raymond Aron parle de “religions séculières” à propos du nazisme et du communisme, avec le culte du chef et même ses hérétiques comme les trotskystes.

La montée des conversions s’accompagne de deux courants : l’un libéral, l’autre identitaire qui veut lutter contre la décadence du pays et la décadence religieuse. Ce courant identitaire est généralement en lien avec les idéologies de droite : la poussée de l’islam rappelle que l’on est catholique et la crise sociétale conduit à rechercher l’ordre individuel et collectif.

Le CER reçoit Eric Anceau le mercredi 7 juin 2023

sur le thème : Laïcité, un principe. De l’Antiquité au temps présent 

merci aux personnes intéressées par la conférence et non membres du Cercle de bien vouloir écrire à : Cercle Ernest Renan [ernest.renan91@gmail.com]

Éric Anceau, né le  à Paris, est un historien français. C’est un spécialiste reconnu du Second Empire et de Napoléon III ainsi que de la laïcité.

Il est maître de conférences habilité à diriger des recherches à Sorbonne Université, où il enseigne l’histoire du xixe siècle et l’histoire des pouvoirs, de l’action publique et des sociétés en France et en Europe à l’époque contemporaine.

Il a obtenu le Grand Prix de la Fondation Napoléon en 2000 pour ses travaux sur le Second Empire et un grand nombre d’autres récompenses dont trois prix de l’Institut de France (en particulier le prix Guizot de l’Académie française en 2018), ou encore le grand prix littéraire du Mémorial d’Ajaccio.

La laïcité ne se résume pas à la loi française de Séparation des Églises et de l’État de 1905, par ailleurs mal connue et souvent instrumentalisée. Trouver une juste place pour les religions dans la société préoccupe l’autorité politique depuis l’Antiquité. Éric Anceau revient ici aux sources de ce questionnement en France, mais aussi dans le monde. Il décrit le rôle de la construction de l’État en confrontation parfois avec les pouvoirs religieux dont la papauté, l’influence des guerres de religion, l’intense réflexion des Lumières et de la Révolution. Il examine l’élaboration et le contenu des lois laïques des débuts de la Troisième République, en particulier de la loi de 1905, l’apaisement relatif qui s’en est suivi, les nouveaux questionnements posés par l’islam depuis trente ans.   Les exceptions à la généralité française ici expliquées, à commencer par le régime de l’Alsace-Moselle, de même que le panorama international qu’il propose font de cet ouvrage la première synthèse mondiale sur le principe de laïcité à travers les siècles

Résumé de la conférence de Jean-Pierre Castel au Cercle Ernest Renan le 11 mai 2023 La science moderne est-elle d’origine chrétienne, hellénistique, ou autre ?

Introduction

Pour un scientifique, la science n’a pas d’origine chrétienne. Pourtant, le philosophe Alexandre Kojève défend la thèse de “l’origine chrétienne de la science moderne” dans son ouvrage éponyme paru en 1964. Pour lui, le christianisme n’a pas fait obstacle à la révolution copernicienne. Au contraire, le christianisme a créé les conditions favorables à son développement.

Cette thèse étrange est plus répandue qu’on ne le croit et nombre d’intellectuels du 20e  siècle ont défendu cette idée.

 

Origines de la révolution scientifique

La science, telle que nous l’entendons aujourd’hui, a démarré chez les Grecs avec le principe de la preuve et les mathématiques.

Mais les Grecs ne disposaient pas de toutes les notions élémentaires permettant de résoudre la question du mouvement et donc ne pouvaient répondre à l’interrogation : “par quoi sont mus les projectiles (et les planètes) ?”

La science hellénistique avait remis en cause nombre d’interdits aristotéliciens, mais elle était restée géométrique, spatiale, et l’opposition aristotélicienne entre le repos, un état, lié à l’espace, et le mouvement, un processus, lié au temps, n’avait pas été questionnée.

L’histoire de la science n’est pas linéaire. La science grecque atteignit son apogée à l’époque hellénistique, notamment avec Archimède. Une partie de la science grecque a été préservée par le monde arabo-musulman. La science européenne a, quant à elle, redémarré avec la “Reconquista”. L’Europe redécouvrit alors la Physique d’Aristote, puis, à la Renaissance, certains textes d’Archimède.

Les contributeurs à la révolution scientifique moderne sont venus de toute l’Europe chrétienne, sauf d’Espagne en décadence depuis l’Inquisition.

 

La révolution scientifique du 17e siècle, portée par Copernic, Kepler, Galilée, Descartes, Newton, … a été l’une des plus importantes révolutions de l’esprit humain depuis l’invention du cosmos ou la révolution néolithique.

Le principal résultat de la révolution scientifique a été la résolution de la question du mouvement, restée énigmatique depuis Aristote (la force chez Aristote était liée à la vitesse, Newton montrera qu’elle est liée à l’accélération ; avec le concept d’énergie, qui ne sera dégagé qu’au XIX siècle, on peut dire qu’Aristote confondait la force et l’énergie). Avoir résolu la question du mouvement a ensuite rendu possible la révolution industrielle.

 

Révolution galiléo-newtonienneet science aristotélicienne

La révolution scientifique du XVIIe  siècle a annulé la science aristotélicienne.

Chez Aristote et chez les Grecs, l’Univers est fini et la notion de vide n’existe pas. Les orbites sont circulaires et le zéro n’est pas une notion connue. Le repos est un état attaché à un lieu et le mouvement est un processus attaché au temps. Enfin, donner une force entraîne une vitesse.

Au contraire, chez Newton, l’Univers est homogène et mathématisable. Et l’opposition entre repos et mouvement est restée acquise jusqu’à Copernic.

Galilée découvrit le principe d’inertie, qui pose l’équivalence du repos et des mouvements rectilignes et uniformes. La loi d’inertie marque le début de la physique moderne.

Le zéro et la mesure du temps

Le zéro provient des arabes et a été introduit en Europe  par les marchands. Les Grecs ne connaissaient pas cette notion. De plus, la notion d’infini associée à la mathématisation avait une connotation négative chez les Grecs.

La science moderne a pris le temps, et non plus l’espace, comme variable fondamentale du mouvement : la loi de la chute des corps est, de fait, la première loi de la nature exprimée en fonction du temps. On ne disposait pourtant pas, à cette époque, d’instruments de mesure du temps plus sophistiqués que ceux des Grecs. Mais une nouvelle conscience du temps, un temps abstrait et uniforme, s’était installée depuis la fin du Moyen-Âge, à l’occasion de la diffusion des horloges mécaniques, du développement du salariat et de la finance.

Ainsi, l’innovation majeure de la révolution scientifique n’est pas, comme le prétend la doxa, la mathématisation de l’espace, déjà acquise depuis Archimède, mais la mathématisation du temps. Et tous les nouveaux concepts de la physique newtonienne (vitesse, accélération, inertie, force, attraction universelle, existence du vide) sont des concepts d’abord physiques.

Science moderne et monde chrétien

La science moderne est, effectivement, née dans le monde chrétien. Pour autant, aucun rapprochement n’existe entre cette science moderne et les concepts chrétiens.

La science moderne n’a eu aucun besoin de l’infiniment grand, que nombre d’auteurs associent au concept de toute-puissance divine. Quant à l’infiniment petit et du calcul infinitésimal, il n’a eu besoin que du zéro et de la notion de limite.

Un autre argument pour expliquer l’origine chrétienne de la science moderne est la désacralisation du monde qui aurait permis d’une étude rationnelle du monde. Cependant, la désacralisation abrahamique du monde n’est qu’un interdit religieux, et non pas une libération de la pensée. Ni la science grecque, ni la science hellénistique n’en avaient d’ailleurs eu besoin.

Certains ont également soutenu d’autres principes censés démontrer l’origine chrétienne de la science moderne. Mais aucun n’est réellement convainquant.

Ainsi, on explique que la chrétienté est la plus rationnelle des religions. Certains ont aussi soutenu que l’incarnation chrétienne avait permis de faire descendre les mathématiques sur terre (comme si les mathématiques étaient divines). Et puis, d’autres prétendent que les horloges ont été inventées dans les monastères.

Ce que l’on peut retenir, c’est que la science et la religion sont des démarches de nature foncièrement différente : les vérités de la religion sont des vérités d’autorité, les vérités visées par la science sont des vérités rationnelles. Certains considèrent que la religion a « couvé” la science, l’a aidée dans son émergence, mais une telle image relève de la même confusion entre vérité d’autorité et vérité rationnelle.

Existe-t-il d’autres racines possibles à la science moderne ?

Les civilisations grecques et chrétiennes n’ont pas l’exclusivité des découvertes scientifiques. Pour autant, la grande spécificité de la science grecque, c’est la démonstration qu’on ne retrouve dans aucune autre civilisation.

De plus, la science moderne est fille de la civilisation grecque qui s’attachait surtout à la permanence des choses, par opposition à la civilisation chinoise qui privilégie le changement.

Égyptiens et Chinois sont pourtant à l’origine de nombreuses découvertes, mais issues de processus empiriques.

Le Judaïsme, insisté sur la notion de temps (processus en 6 jours). Le judaïsme est une religion du temps et du mouvement avec une promotion de l’inaccompli. Mais ce dont la science moderne avait besoin, c’est d’un temps uniforme, de moins l’infini à plus l’infini, pour qu’il soit mesurable et mathématisable, toutes notions complètement absentes, voire rejetées par le temps judéo-chrétien, qui va de la Création au Jugement Dernier.

On peut enfin envisager, même si cela reste largement discutable, que le capitalisme a joué un rôle dans le développement de la science moderne. En effet, le zéro et le temps mesurable sont des notions qui ont été largement utilisées et diffusées, par les marchands.

 

 

Résumé de la conférence de Stéphane Lavignotte au Cercle Ernest Renan le 27 avril 2023 “Crise écologique : Les imaginaires religieux, problème et ressources ?”

Résumé de la conférence de Stéphane Lavignotte au Cercle Ernest Renan

le 27 avril 2023

Crise écologique : Les imaginaires religieux, problème et ressources ?”

 

Introduction

Stéphane Lavignotte est pasteur de la Mission Populaire Evangélique à Montreuil. Il est issu d’une famille non croyante et il a exercé 10 ans comme journaliste avant de devenir pasteur. Il s’est occupé de l’accueil de sans papiers dans un temple et il milite pour la cause écologique.

Stéphane Lavignotte réfute la vision dichotomique qui oppose foi et écologie et considère que les deux peuvent se développer en parallèle.

Il s’oppose à l’analyse simpliste qui voudrait que puisque la société occidentale est issue du christianisme et qu’elle est devenue hostile à la nature, alors ce serait le christianisme qui serait à l’origine de la crise écologique.

Pour lui, aller vers plus d’écologie nécessite de faire évoluer en parallèle :

-Les structures de la société (le capitalisme)

-Les modes de vie (par exemple aller vers l’utilisation des mobilités douces)

-Les valeurs et les imaginaires (éducation, rapport au temps, rapport à la religion, …)

Comment la religion peut s’opposer à l’écologie ?

Plusieurs éléments peuvent être mis en avant pour expliquer que la religion, et plus spécifiquement le christianisme, a eu une influence négative sur la nature.

Deux auteurs importants se réfèrent à la religion pour expliquer les origines de la crise écologique :

-D’une part Lynn White aux USA qui est un historien médiéviste, protestant presbytérien. Il a publié en 1966 un article dans la revue Nature : “Les sources historiques de la crise écologique”. Il se réfère aux textes de la Genèse qui portent une vision anthropocentrique de la chrétienté :  l’Humain est au sommet de la nature, il la domine, avec un monde à sa disposition.

-D’autre part Carl Amery qui se réfère à Noé et au fait que tout dans la nature serait à la disposition de l’homme.

Par ailleurs, l’évolution du rapport au temps dans la religion a joué contre la préservation de la nature. Dans les anciennes religions, le temps était cyclique avec un retour constant sur les saisons et la nature. Alors que dans le christianisme et le judaïsme, il existe une vision linéaire avec l’avant (le Paradis), le temps présent qui est un temps de progrès et l’après (le Royaume). Et toucher à la nature peut être considéré comme un moyen d’anticiper le Royaume.

La lutte contre le paganisme dans les débuts du christianisme a aussi contribué à détruire le rapport à la nature. On a combattu “l’esprit du lieu”, par exemple en coupant les chênes sacrés.

Thomas d’Aquin a considéré que la question du salut concernait exclusivement les hommes et non les plantes ou les animaux. La nature avait donc moins de considération que l’Homme.

La modernité, notamment avec Descartes, Bacon ou Malebranche, peut également être mise en cause dans l’atteinte à la nature. Au Moyen-âge, on avait une vision magique et symbolique du monde. Par exemple, le feu pouvait symboliser la montée de l’âme aux cieux, la fourmi symbolisait le travail ou la passiflore la vision de la passion du Christ. Ensuite, on a commencé à analyser les phénomènes naturels (comme l’Arc en Ciel), d’abord en attribuant à Dieu le fait de faire tourner les mécanismes de la nature, puis en ayant une vision mécaniste et scientifique.

Enfin, la montée du nominalisme avec chaque réalité qui est une réalité autonome a également eu une influence néfaste sur notre rapport à la nature.

Comment changer notre imaginaire pour changer notre rapport à la nature ?

La religion ne s’est pourtant pas systématiquement opposée à la nature et il existe de nombreux chrétiens chez les premiers penseurs de l’écologie.

Plusieurs familles de pensée chrétienne se réfèrent, en effet, à l’écologie :

Usagère, gérante ou gestionnaire. Dans les années 70, une relecture de la Genèse a essayé de démontrer que l’homme ne domine pas la terre mais qu’il a en charge la gestion d’un territoire sous l’autorité de Dieu. Il est donc responsable devant Dieu et se doit d’agir tel un “jardinier” vis à vis de la nature. Cette approche milite ainsi pour un système “soutenable” vis-à -vis des générations futures avec également une responsabilité du Nord vis-à-vis des pays du Sud.

Anti-idolâtre. Il existe de nouvelles idoles destructrices pour l’homme et la nature comme l’excès de technique ou l’argent. Un exemple est celui de vouloir remplacer la voiture thermique par le véhicule électrique sans s’interroger sur la nécessité ou non de se déplacer. Cette vision se rapproche de celle des prophètes qui dénoncent les excès, notamment ceux du pouvoir.

Conviviale. L’homme n’est plus au centre de la nature et plusieurs sortes de vie se côtoient. Chez François d’Assise, il existe une notion de fraternité de tous les vivants (animaux et nature). Par exemple le loup de Gubbio avec lequel on “négocie” et qui sera enterré religieusement après sa mort.

Relationnel ou naturaliste. Cette vision, qui se retrouve dans l’anthropologie animiste,  vise une relation avec la nature pour partager les écosystèmes.                  –Ruminante. Il s’agit d’une approche anti-industrie (Emerson et Thoreau) ou anti-guerre (Albert Schweitzer) avec une volonté de respect de la vie, une inquiétude vis-à-vis de la déshumanisation, une plongée dans la nature et une expérience charnelle avec celle-ci. L’idée est celle d’une responsabilité par rapport à la nature et à la vie.

Questions et réflexions

-Quelle est la position du protestantisme vis-à -vis de l’écologie ?

On retrouve chez Calvin une doctrine de sobriété sur l’usage des biens terrestres. Mais cette approche présente une ambiguïté. En effet, même si celle-ci prône une consommation “raisonnable”, et donc un respect de la nature, dans le même temps la volonté de valoriser le travail prend le dessus et conduit indirectement à une atteinte à la nature.

Dans la théologie évangélique, plus on donne à Dieu, plus on réussit. Cela peut se traduire par des excès, comme la déforestation pour augmenter les rendements agricoles, qui détruisent la nature.

A l’inverse, dans la théologie de la libération, on intègre une vision écologique de respect de la nature.

-Existe-t-il une nature humaine qui s’opposerait à la nature ou bien s’agit-il d’une construction sociale ?

Les outils sont utilisés par l’homme pour domestiquer la nature. Mais certains peuples premiers n’ont pas voulu construire d’outils. On peut donc en conclure qu’il n’existe pas de “nature humaine”, mais une socialisation profonde qui nous fait voir les choses de manière spécifique selon les lieux et les époques.

A noter, par ailleurs, que les hommes sont confrontés à 3 types d’angoisses :

-la mort

-la damnation

-existentielle (à quoi sert la vie)

Cette dernière est directement liée au rapport que l’homme a avec la nature.

Résumé de la conférence de Françoise Hildesheimer au Cercle Ernest Renan le 13 avril 2023 — L’Abbé Grégoire

L’abbé Grégoire (1750-1831) est un prêtre catholique originaire de Lorraine qui a joué un rôle important durant la Révolution française. Il a fait ses études au collège de Jésuites puis au séminaire de Nancy et il est ensuite devenu curé de campagne.

C’est un curé des lumières qui sera élu député du clergé aux Etats Généraux de 1789 et qui siègera sur le banc de la “Montagne”.

Malgré une importante littérature le concernant, il n’existait à ce jour aucune biographie complète relative à l’abbé Grégoire qui se positionne à l’intersection entre l’histoire de l’église de France et celle de la Révolution. L’abbé Grégoire reste une figure insaisissable et fortement contestée.

Rita Hermon-Belot dans “L’abbé Grégoire, la politique et la vérité” dira de lui qu’il voulait faire tenir ensemble ce qui est séparé : attitude chrétienne, fraternité, révolution, …

Alyssa Goldstein dans “L’abbé Grégoire et la Révolution française” rappelle que l’abbé Grégoire avait pour ambition de « régénérer » les groupes humains (juifs, pays, personnes de couleur, …) pour permettre leur intégration dans une société fraternelle et égalitaire.

Dans ses mémoires, L’abbé Grégoire défend sa conduite “rectiligne” en se présentant comme un “bloc de granit”. Pourtant, sa personnalité est complexe et il a brouillé les pistes dans ses mémoires quant à ses actions et à ses idées. Il est dès-lors, difficile de faire une synthèse du personnage.

Un prêtre révolutionnaire

Il existe une “rue de l’abbé Grégoire” dans presque toutes les villes françaises. Sa figure est omniprésente au début de la révolution de 1789 et il sera un des premiers secrétaires élus de l’Assemblée. Il est proche de Robespierre, mais il échappe à l’hécatombe de la terreur.

L’abbé Grégoire va contribuer à la rédaction de la constitution civile du clergé. Il défend en même temps un idéal religieux (il restera toute sa vie un fervent catholique) et révolutionnaire. Contrairement à nombre de ses contemporains, il ne voit aucune contradiction à cela et il rejoint ainsi l’église constitutionnelle jusqu’à devenir évêque de Blois.

En tant que membre de l’Assemblée, il défend les juifs et les gens de couleur. Il n’obtiendra cependant pas gain de cause concernant l’abolition de l’esclavage face à Barnave qui était le “lobbyiste” des planteurs des Antilles.

Il ne votera pas la mort du Roi, ni celle des Girondins et on ne peut lui reprocher aucune action “condamnable”. De fait, il sera très prudent dans son action politique et il se mettra en retrait durant la Terreur. Pour autant, l’abbé Grégoire est toujours resté foncièrement anti-monarchiste.

La personnalité de l’abbé Grégoire

L’abbé Grégoire est un idéaliste “honnête et naïf” qui défend les causes qui lui sont chères sans considération des réalités économiques ou politiques existantes.

Tocqueville dira d’ailleurs de lui que c’était un homme passionné par le bien public.

L’abbé Grégoire est un personnage sympathique, un idéaliste qui s’est heurté à la réalité. Il ne s’est jamais intéressé à la gestion de l’Etat et il est resté éloigné des “magouilles” et des intrigues politiques.

Il est un fervent adversaire de la peine de mort, mais il ne se rendra pas vraiment compte de la réalité de la Terreur.  Dans son “mémoire pour les gens de couleur”, il défend ce qu’il considère comme les intérêts de la Révolution et de l’Evangile sans considération pour les intérêts économiques de cette époque.

En raison de ses convictions religieuses, il est très hostile à la mise en place du calendrier républicain. Bien que son influence diminue progressivement, il ne renonce jamais à défendre ses idées.

L’abbé Grégoire a cru en Napoléon et a même essayé de redonner de l’activité à l’église constitutionnelle au début de l’Empire. Napoléon l’estimait (tout en le qualifiant de « tête de fer ») mais il préférera se tourner vers le Concordat pour assainir les relations avec Rome. L’abbé Grégoire restera prêtre et refusera de se renier, mais ne sera jamais officiellement réintégré dans l’épiscopat.

 

La disgrâce

Tout au long de sa vie, l’abbé Grégoire reste intéressé par tout ce qu’il rencontre. Et chaque fois qu’il y aura une cause à défendre, il s’en saisira. Après sa disgrâce, il est nommé par Napoléon au Conseil des 500, il devient membre du corps législatif et sénateur de l’Empire ce qui lui procure des revenus décents.

Sous la restauration, il restera en disgrâce mais ne sera pas accusé de régicide car il était représentant en mission de l’Assemblée lors du vote de la mort du Roi.

Il est élu à la Chambre en 1819, mais sera exclu par la suite.

Il continue à beaucoup écrire sur nombre de sujets très divers comme l’instruction publique, l’industrie, l’agriculture ou la botanique.

Certaines de ses idées restent néanmoins très contestables dans le contexte actuel comme son principe de “régénération” visant à inclure les juifs et les métis dans une république blanche et masculine au travers d’une conversion.

De même, son rapport aux femmes reste très marqué par une vision conservatrice. Il ira même jusqu’à demander qu’aucune main féminine ne touche son cadavre.

Les cendres de l’abbé Grégoire seront transférées au Panthéon en 1989 dans un contexte non consensuel puisque l’archevêque de Paris, monseigneur Lustiger, a refusé d’assister à la cérémonie.