Résumé de la conférence de Frédéric Gugelot au Cercle Ernest Renan
le 22 juin 2023
Se convertir à Dieu au 20ème et au 21ème siècles
Introduction
Frédéric Gugelot est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Reims, spécialiste d’histoire culturelle et religieuse. Ses travaux de recherche portent notamment sur la conversion au catholicisme de la part des intellectuels.
Son constat, que l’on retrouve également chez Danièle Hervieu-Léger dans “Le pélerin et le converti, la religion en mouvement” est que la religion, loin de disparaître au sein de nos sociétés sécularisées et laïques, au contraire se développe selon de nouvelles formes où la figure du converti l’emporte sur celle, classique, du pratiquant. Ainsi, la montée de l’individualisation n’a pas fait disparaître la foi.
Pourtant, en 1908, dans un célèbre discours, René Viviani alors ministre du travail annonçait fièrement que la science avait vaincu la foi : “Nous avons arraché les consciences humaines à la croyance… Nous avons éteint dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera plus !”
Alors, comment expliquer ce regain d’intérêt pour la religion et l’augmentation du nombre de nouveaux convertis ?
La défiance vis à vis du nouveau converti
Traditionnellement, les églises se méfient des nouveaux convertis. C’était le cas de l’église catholique au début du 20ème siècle, ceci malgré les difficultés qu’elle rencontrait à cette époque. Autrefois, on suivait la religion de ses pères et celle-ci n’était pas accueillante pour le converti qui attirait la défiance et pouvait être considéré comme une sorte de traître ou d’apostat dont on doutait de l’authenticité de la foi : “Dès que quelqu’un se convertit à quoi que ce soit, on l’envie tout d’abord, puis on le plaint, ensuite et on le méprise” (Emil Cioran).
Ainsi, dans le judaïsme, le converti ne peut pas devenir rabbin. Dans l’empire Espagnol, les marranes, qui avaient conservé leurs traditions juives, étaient méprisés. Les crypto-chrétiens dans l’empire Ottoman qui masquaient leur véritable religion, comme les chrétiens cachés du Japon qui conservaient des pratiques clandestines ou souterraines étaient pourchassés.
Aujourd’hui pourtant, on assiste à beaucoup de baptêmes d’adultes qui sont souvent mis en scène à Pâques à des fins de communication.
Le converti dérange les héritages historiques, mais il est valorisé de nos jours car il redonne un sens et une vigueur à la pratique religieuse. Le récit de la conversion devient une sorte de propagande, les convertis venant remplacer les martyrs dans l’imaginaire collectif.
Pourquoi se convertir au 20ème siècle ?
Un état de mal-être est très souvent à l’origine de la conversion. Ce mal-être peut avoir une origine personnelle ou être lié à l’état de crise de la société.
C’est la quête de sens qui explique ainsi l’adhésion au catholicisme d’un certain nombre d’écrivains et d’intellectuels dans un 20ème siècle pourtant largement sécularisé. C’est le cas d’Huysmans, d’Ernest Psichari, de Max Jacob, de Charles de Foucauld…
L’adhésion au catholicisme s’explique notamment par la recherche d’un idéal de vie intérieure et par la volonté de réalisation de soi. Mais elle a également pour origine la quête d’un ordre intérieur ou politique, l’église étant considérée comme une discipline.
Le converti passe ainsi d’une fausse religion à la foi. C’est un changement radical qui ne concerne pas uniquement le phénomène religieux. Non seulement on change de foi, mais surtout on cherche à acquérir une foi dans laquelle on se reconnaît.
Le retour à la religion permet de rejeter un monde marchand, sans âme et sans valeurs. On se rattache ainsi à la France d’hier en restant fidèle aux pères de nos pères. La religion offre un débouché et permet l’accomplissement de soi. La communion agit comme un médicament : “l’hostie doit être prise comme un cachet d’aspirine” (Max Jacob répondant ainsi à Jean Cocteau).
Mais le problème du converti, c’est de ne pas rester seul et de pouvoir appartenir complètement à la communauté. Pour cela, Paul Claudel avait créé une “coopérative de prière” avec l’édition d’un bulletin permettant d’aider les convertis à renforcer leur foi.
Questions/réponses : les conversions aux “autres religions”
Du côté du protestantisme, on observe, à la fin du 20ème et au début du 21ème siècle, l’émergence des évangélistes qui prennent une place de plus en plus grande notamment en Amérique Latine, en Afrique ou en Corée.
Le judaïsme n’est pas en reste. Il ne s’agit pas d’une religion fermée, mais elle ne communique pas sur la conversion. Pourtant celle-ci a toujours été possible. Le judaïsme était accessible à l’époque Romaine (au 3ème et 4ème siècle après Jésus-Christ). Et au 19ème siècle il y aura autant de juifs qui se convertiront au christianisme que de chrétiens se convertissant au judaïsme, souvent à la suite de mariages.
Dans l’islam, la montée récente du fondamentalisme peut s’expliquer par un rejet du monde tel qu’il est.
La conversion à une secte relève de la même quête de sens que la conversion à une religion. Le 20ème siècle est, en effet, une période de “crise du récit” avec l’émergence de “récits alternatifs”. Ainsi, en 1944, Raymond Aron parle de “religions séculières” à propos du nazisme et du communisme, avec le culte du chef et même ses hérétiques comme les trotskystes.
La montée des conversions s’accompagne de deux courants : l’un libéral, l’autre identitaire qui veut lutter contre la décadence du pays et la décadence religieuse. Ce courant identitaire est généralement en lien avec les idéologies de droite : la poussée de l’islam rappelle que l’on est catholique et la crise sociétale conduit à rechercher l’ordre individuel et collectif.