Résumé de la conférence de Razika Adnani au Cercle Ernest Renan le 9 novembre 2023 — La défaite de la pensée dans la pensée musulmane, histoire et conséquences

pierre Comptes Rendus, Islam juillet 29, 2025

Introduction

 

Razika Adnani est une philosophe, islamologue et conférencière franco-algérienne. Elle est membre du Conseil d’Orientation de la Fondation de l’Islam de France et membre du conseil scientifique du centre civique du fait religieux. Elle est notamment l’auteur du livre “Le blocage de la raison dans la pensée musulmane”.

Lors de sa conférence, Razika Adnani présente l’histoire et les caractéristiques des différents courants de pensée dans l’islam. Elle explique les blocages qui en résultent dans la société musulmane et les conséquences sur la civilisation islamique.

 

 

La pensée musulmane

 

Chez les musulmans, le terme “théologie” peut se traduire par “Kalâm”, c’est-à-dire la science de la parole divine. Les travaux relatifs à la pensée musulmane ont débuté à la mort du prophète. En effet, lorsque le prophète était vivant, il répondait directement aux questions qui pouvaient se poser. Le Coran a été ainsi complété par les “hadîth” qui constitue la parole du prophète.

 

La “révélation” s’est arrêtée à la mort du prophète qui n’a pas abordé la question de sa succession. Dès lors, s’est posée la question de l’interprétation des textes sacrés et deux visions diamétralement opposées se sont affrontées :

-celle de ceux qui considèrent que les textes sacrés ne doivent, en aucun cas, nécessiter une interprétation humaine,

-celle de ceux qui considèrent que la pensée humaine peut intervenir dans l’interprétation des textes révélés.

 

 

L’affrontement entre l’école de l’opinion et l’école malékisme

 

On peut estimer que jusqu’au 8e siècle, il ne se posera pas de problématique concernant l’interprétation de la pensée par rapport à la révélation.

 

La première école sunnite, l’école de l’opinion fondée par le juriste d’origine perse Abû Hanîfa, considère qu’il faut se référer à sa propre pensée comme deuxième source de connaissance après les textes sacrés.

 

Par opposition, l’école malékisme, fondée sur l’enseignement de Mâlik ibn Anas, reproche à l’école de l’opinion d’utiliser la pensée humaine dans le domaine juridique. Elle juge qu’il existe, dans l’ordre, 4 sources de pensée : tout d’abord la révélation, ou à défaut les hadîth, et sinon la tradition des compagnons du prophète ou les habitudes des habitants de Médine où a résidé le prophète. Pour Mâlik, en effet, les gens de Médine reflètent fidèlement les idées du prophète. Dans ces conditions, la pensée humaine ne doit être utilisée qu’en dernier recours, en l’absence de réponse dans les quatre autres sources de pensée. Le malékisme va se développer, notamment en Afrique, et sera à la source du salafisme et du traditionalisme. Il donnera plus tard naissance au hanbalisme et ensuite au wahhabisme.

 

Dans les faits, on peut observer que cette opposition entre l’école de l’opinion et l’école malékisme relève de l’opposition entre nouveaux musulmans, venant d’Irak notamment, qui ne veulent plus se référer à Médine, et anciens musulmans originaires de Médine.

 

Cette opposition entre les deux courants de pensée constitue LA problématique fondamentale de la pensée musulmane. Cette question de l’opposition entre pensée et révélation s’adresse à l’ensemble des domaines de la société, au-delà des simples domaines juridique ou théologique.

 

 

Les autres courants de pensée

 

Un autre courant, le mutazilisme ou littéralisme, ne rejette pas la pensée en général, mais s’oppose à la pensée en cela qu’elle peut être créatrice et rationnelle.

Ce courant s’intéresse aux questions philosophiques et à la pensée grecque. Il sera actif entre le 8e et le 10e siècle. Il considère que la pensée peut être la seconde source de connaissance après la révélation.

Il prône l’Aql, c’est-à-dire la raison en arabe.

 

Le soufisme est un courant de pensée issu des nouveaux musulmans du sud de l’Irak qui n’acceptent pas les aspects juridiques. Avant le 13e siècle, ils ne reconnaissent d’ailleurs pas la charia.  Pour eux, la connaissance est révélée. Le “dévoilement” est la transmission de la révélation par Dieu puis sa transmission. Il convient de ne pas démontrer, mais de “déguster” la connaissance.

 

Pour les chiites, l’imamat consiste en la transmission de la connaissance divine à un imam qui est ensuite chargé de l’enseignement du Coran aux hommes.

 

 

Les principales théories dans la religion musulmane

 

Il existe plusieurs théories qui s’opposent dans la religion musulmane.

 

La théorie sur la nature même du Coran :

-le Coran est créé et il est en rapport avec les habitudes de l’Arabie,

-le Coran est incréé, c’est-à-dire qu’il a été créé avec Dieu, en dehors du temps, avec des règles immuables et intemporelles.

 

La théorie du “Naql” ou du littéralisme dans l’interprétation des textes :

Il existe un geste physique du type “prendre et transférer”, sans aucun travail de pensée. Cette méthode permet d’éviter la subjectivité et de conserver la pureté du texte. Les commentaires sont alors totalement objectifs car ils respectent le sens apparent du texte. A noter que le mutazilisme n’a pas utilisé le Naql.

 

La théorie du “Salaf” (prédécesseurs) : ce sont les premiers salaf, ceux de Médine, qui détiennent la vérité. Il faut se tourner vers les premiers musulmans et toute innovation est à proscrire. La pensée qui crée de nouvelles idées est un égarement.

 

 

Les évolutions suivantes de la pensée musulmane

 

Vers le 9e siècle, l’idée répandue est que la religion est une question de cœur et non de raison. Au 10e siècle, le malékisme disparaît. L’idée répandue alors est qu’il faut aimer sa religion et ne pas penser par soi-même. La théologie et la philosophie ont semé le doute dans la population. Les politiques décident donc de fermer les écoles philosophiques. Entre le 12e et le 13e siècle, il y a beaucoup de réflexions dans la pensée musulmane.

 

L’acharisme va ensuite remplacer le mutazilisme chez les sunnites et imposer la notion de Coran incréé. Le principe du “sans demander comment” et ne pas se poser de question est alors adopté. Peu à peu, la défaite de la pensée va conduire à un déclin de la civilisation musulmane.

 

 

La Nahda

 

Ensuite, durant 6 siècles, rien ne se passera dans l’Islam jusqu’à l’avènement de la “Nahda” autour du 19e siècle. Cette “renaissance” dans le monde arabe et musulman s’accompagne d’une pensée créatrice et rationnelle et vise à sortir le monde musulman de son retard. Cependant, des limites seront mises à cette pensée, en particulier avec la nécessité de toujours se tourner vers les règles immuables de la charia. Et ce sont ces règles immuables qui posent problème et qui interdisent toute réforme en profondeur de l’islam. Comme la pensée souhaite se moderniser sans pour autant se libérer du passé, l’islam n’a pas pu faire sa réforme. Cette période s’achève dans les années 1950, et aujourd’hui on se situe dans une période de creux, voire de retour en arrière.

 

 

Conclusion

 

La pensée n’ayant pas été libérée, les idées qui ont conduit à l’effondrement de la pensée musulmane sont revenues. Les règles immuables ne sont pas abrogées malgré les avancées de la société dans les États musulmans comme l’Arabie Saoudite. Comme il n’existe pas de réforme de l’Islam, il existe un risque de retour en arrière.

 

 

Remarques complémentaires

 

-Les notions d’islamisme versus islam sont des constructions des non musulmans. A noter que l’islam a toujours eu des imbrications politiques.

 

-La première période de la vie du prophète à La Mecque prône une pensée spirituelle. Ensuite, à Médine, le prophète devient un homme d’État avec des préoccupations d’ordre juridique.

Les conservateurs refusent l’islam spirituel et considèrent que l’islam de La Mecque est un commencement et que celui de Médine constitue l’islam abouti.

 

-Le Coran est un tout indivisible. Pour autant, on peut imaginer que certains versets coraniques puissent être frappés d’obsolescence. Les musulmans l’ont déjà fait. Par exemple l’esclavage existe dans le Coran et n’est plus pratiqué, comme d’ailleurs le fait de couper la main aux voleurs.

 

 

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