Introduction
Pour un scientifique, la science n’a pas d’origine chrétienne. Pourtant, le philosophe Alexandre Kojève défend la thèse de “l’origine chrétienne de la science moderne” dans son ouvrage éponyme paru en 1964. Pour lui, le christianisme n’a pas fait obstacle à la révolution copernicienne. Au contraire, le christianisme a créé les conditions favorables à son développement.
Cette thèse étrange est plus répandue qu’on ne le croit et nombre d’intellectuels du 20e siècle ont défendu cette idée.
Origines de la révolution scientifique
La science, telle que nous l’entendons aujourd’hui, a démarré chez les Grecs avec le principe de la preuve et les mathématiques.
Mais les Grecs ne disposaient pas de toutes les notions élémentaires permettant de résoudre la question du mouvement et donc ne pouvaient répondre à l’interrogation : “par quoi sont mus les projectiles (et les planètes) ?”
La science hellénistique avait remis en cause nombre d’interdits aristotéliciens, mais elle était restée géométrique, spatiale, et l’opposition aristotélicienne entre le repos, un état, lié à l’espace, et le mouvement, un processus, lié au temps, n’avait pas été questionnée.
L’histoire de la science n’est pas linéaire. La science grecque atteignit son apogée à l’époque hellénistique, notamment avec Archimède. Une partie de la science grecque a été préservée par le monde arabo-musulman. La science européenne a, quant à elle, redémarré avec la “Reconquista”. L’Europe redécouvrit alors la Physique d’Aristote, puis, à la Renaissance, certains textes d’Archimède.
Les contributeurs à la révolution scientifique moderne sont venus de toute l’Europe chrétienne, sauf d’Espagne en décadence depuis l’Inquisition.
La révolution scientifique du 17e siècle, portée par Copernic, Kepler, Galilée, Descartes, Newton, … a été l’une des plus importantes révolutions de l’esprit humain depuis l’invention du cosmos ou la révolution néolithique.
Le principal résultat de la révolution scientifique a été la résolution de la question du mouvement, restée énigmatique depuis Aristote (la force chez Aristote était liée à la vitesse, Newton montrera qu’elle est liée à l’accélération ; avec le concept d’énergie, qui ne sera dégagé qu’au XIX siècle, on peut dire qu’Aristote confondait la force et l’énergie). Avoir résolu la question du mouvement a ensuite rendu possible la révolution industrielle.
Révolution galiléo-newtonienneet science aristotélicienne
La révolution scientifique du XVIIe siècle a annulé la science aristotélicienne.
Chez Aristote et chez les Grecs, l’Univers est fini et la notion de vide n’existe pas. Les orbites sont circulaires et le zéro n’est pas une notion connue. Le repos est un état attaché à un lieu et le mouvement est un processus attaché au temps. Enfin, donner une force entraîne une vitesse.
Au contraire, chez Newton, l’Univers est homogène et mathématisable. Et l’opposition entre repos et mouvement est restée acquise jusqu’à Copernic.
Galilée découvrit le principe d’inertie, qui pose l’équivalence du repos et des mouvements rectilignes et uniformes. La loi d’inertie marque le début de la physique moderne.
Le zéro et la mesure du temps
Le zéro provient des arabes et a été introduit en Europe par les marchands. Les Grecs ne connaissaient pas cette notion. De plus, la notion d’infini associée à la mathématisation avait une connotation négative chez les Grecs.
La science moderne a pris le temps, et non plus l’espace, comme variable fondamentale du mouvement : la loi de la chute des corps est, de fait, la première loi de la nature exprimée en fonction du temps. On ne disposait pourtant pas, à cette époque, d’instruments de mesure du temps plus sophistiqués que ceux des Grecs. Mais une nouvelle conscience du temps, un temps abstrait et uniforme, s’était installée depuis la fin du Moyen-Âge, à l’occasion de la diffusion des horloges mécaniques, du développement du salariat et de la finance.
Ainsi, l’innovation majeure de la révolution scientifique n’est pas, comme le prétend la doxa, la mathématisation de l’espace, déjà acquise depuis Archimède, mais la mathématisation du temps. Et tous les nouveaux concepts de la physique newtonienne (vitesse, accélération, inertie, force, attraction universelle, existence du vide) sont des concepts d’abord physiques.
Science moderne et monde chrétien
La science moderne est, effectivement, née dans le monde chrétien. Pour autant, aucun rapprochement n’existe entre cette science moderne et les concepts chrétiens.
La science moderne n’a eu aucun besoin de l’infiniment grand, que nombre d’auteurs associent au concept de toute-puissance divine. Quant à l’infiniment petit et du calcul infinitésimal, il n’a eu besoin que du zéro et de la notion de limite.
Un autre argument pour expliquer l’origine chrétienne de la science moderne est la désacralisation du monde qui aurait permis d’une étude rationnelle du monde. Cependant, la désacralisation abrahamique du monde n’est qu’un interdit religieux, et non pas une libération de la pensée. Ni la science grecque, ni la science hellénistique n’en avaient d’ailleurs eu besoin.
Certains ont également soutenu d’autres principes censés démontrer l’origine chrétienne de la science moderne. Mais aucun n’est réellement convainquant.
Ainsi, on explique que la chrétienté est la plus rationnelle des religions. Certains ont aussi soutenu que l’incarnation chrétienne avait permis de faire descendre les mathématiques sur terre (comme si les mathématiques étaient divines). Et puis, d’autres prétendent que les horloges ont été inventées dans les monastères.
Ce que l’on peut retenir, c’est que la science et la religion sont des démarches de nature foncièrement différente : les vérités de la religion sont des vérités d’autorité, les vérités visées par la science sont des vérités rationnelles. Certains considèrent que la religion a « couvé” la science, l’a aidée dans son émergence, mais une telle image relève de la même confusion entre vérité d’autorité et vérité rationnelle.
Existe-t-il d’autres racines possibles à la science moderne ?
Les civilisations grecques et chrétiennes n’ont pas l’exclusivité des découvertes scientifiques. Pour autant, la grande spécificité de la science grecque, c’est la démonstration qu’on ne retrouve dans aucune autre civilisation.
De plus, la science moderne est fille de la civilisation grecque qui s’attachait surtout à la permanence des choses, par opposition à la civilisation chinoise qui privilégie le changement.
Égyptiens et Chinois sont pourtant à l’origine de nombreuses découvertes, mais issues de processus empiriques.
Le Judaïsme, insisté sur la notion de temps (processus en 6 jours). Le judaïsme est une religion du temps et du mouvement avec une promotion de l’inaccompli. Mais ce dont la science moderne avait besoin, c’est d’un temps uniforme, de moins l’infini à plus l’infini, pour qu’il soit mesurable et mathématisable, toutes notions complètement absentes, voire rejetées par le temps judéo-chrétien, qui va de la Création au Jugement Dernier.
On peut enfin envisager, même si cela reste largement discutable, que le capitalisme a joué un rôle dans le développement de la science moderne. En effet, le zéro et le temps mesurable sont des notions qui ont été largement utilisées et diffusées, par les marchands.