Introduction
Jean-Philippe Schreiber est professeur et directeur de recherches à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Il est notamment l’auteur de l’ouvrage “La Belgique, Etat laïque … ou presque (du principe à la réalité)” paru en 2014.
Le thème de la laïcité et de la régulation des religions est complexe et se traduit par des approches différentes au sein des différents pays européens.
La laïcité française n’a pas d’équivalent en Europe. Ce principe, qui repose sur la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905, est plus complexe qu’il n’y paraît. Il donne lieu à de nombreuses exceptions (Alsace-Moselle, Guyane, Mayotte, …) et n’est, en réalité, pas figé.
Plus généralement en Europe, le modèle de dialogue avec les religions est lié à l’histoire de chaque pays. Dans ces conditions, il n’existe pas de modèle européen unique en termes de relations État-Église.
Dieu est présent au niveau institutionnel dans de nombreux pays de l’UE, y compris au niveau du préambule de la constitution (Allemagne, Roumanie).
La prestation de serment du chef de l’Etat inclut la relation à Dieu au Danemark ou en Suède où le souverain doit être obligatoirement de confession luthérienne.
La religion à l’école
L’enseignement de la religion est obligatoire à l’école publique dans certains pays (y compris le catéchisme). Il est donc nécessaire de réussir les cours de religion pour réussir ses études.
Les écoles confessionnelles sont dominantes dans des pays comme l’Irlande (90% des élèves), aux Pays-Bas (75%) ou en Belgique (74% en Flandre et 50% en Wallonie). En France, les écoles confessionnelles accueillent 20% des élèves scolarisés.
Les messes et prières sont présentes à l’école, notamment en Italie ou en Grèce.
En Pologne ou en Roumanie, les parents sont quasi-obligés d’accepter que leurs enfants participent aux cours de religion même si, théoriquement, des dispenses sont possibles.
La régulation du religieux
Il existe une religion d’Etat au Danemark et en Grèce (et également en Angleterre, mais ce pays ne fait pas partie de l’UE).
Dans d’autres pays, c’est un système conventionnel entre Etat et Religion(s) du type concordat qui a été mis en place. C’est le cas au Portugal (séparation de l’Eglise et de l’Etat dans la constitution mais pour autant système de concordat). Il en est de même en Slovénie et en Croatie.
En fait, le système conventionnel est très plastique et diffère d’un pays à l’autre.
En Italie, une entente (révision en 1984 des accords de Latran) a été mise en oeuvre et le périmètre s’étend à de multiples religions à l’exception de l’Islam.
L’Espagne a instauré un accord avec les Catholiques, les Protestants, les Musulmans et les Juifs. En Autriche et en Belgique, c’est un système de reconnaissance des cultes sans négociation qui est en vigueur.
La France, les Pays-Bas et l’Irlande n’ont pas de statut des cultes.
D’une manière générale, dans le cadre du concordat avec la religion catholique, un traité international est établi avec le Vatican.
Pour les autres religions, ce sont les Etats qui ont suscité l’émergence d’un interlocuteur, comme en France avec la création du Consistoire Israélite par Napoléon.
Mais pour certaines religions comme l’Islam, il est parfois difficile de trouver un interlocuteur unique représentatif.
A noter que ces différents systèmes sont évolutifs. Ces évolutions sont généralement assez lentes sauf par exemple aux Pays-Bas où l’on passe directement en 1983 d’un système de reconnaissance à une absence de statut des cultes.
Le Luxembourg dispose d’un système de reconnaissance des cultes. Des transformations ont été entreprises mais les réformes n’ont pas abouti.
En Suède, des évolutions importantes ont eu lieu en 2000, pour autant le chef de l’Etat reste obligatoirement luthérien.
En Grèce, des tentatives d’évolution ont eu lieu mais ont échoué. A noter que l’indication de la religion était présente sur la carte d’identité grecque jusqu’à il y a seulement quelques années.
Financement des religions
Dans la plupart des pays d’Europe, des avantages fiscaux permettent le financement des religions.
En France, le culte dans les prisons, à l’hôpital ainsi que les aumôneries de lycée sont financés par l’Etat.
En Italie, “l’otto per mille” permet de financer les religions à hauteur de 0,8% de l’impôt sur le revenu.
L’Espagne dispose d’un dispositif analogue (0,7%), mais qui est réservé au culte catholique et aux ONG. Des dispositifs similaires sont présents en Hongrie et en Slovénie.
Dans d’autres pays, le financement repose sur un impôt religieux. C’est le cas en Allemagne où les religions ont le droit de prélever l’impôt. Cet impôt est élevé (8 à 9% de l’impôt sur le revenu), mais fait l’objet de contreparties car les églises prennent en charge certaines missions de service public. A noter que, de fait, l’employeur connaît la religion de ses salariés.
L’Autriche dispose de règles similaires (1,1% de l’impôt sur le revenu) ainsi que Danemark (avec des variations selon les communes).
Discriminations entre religions
Selon les pays, certaines religions sont bénéficiaires de financement et d’autres pas. L’Islam est discriminé, par exemple, en Italie.
Les Témoins de Jéhovah, les Mormons ou la Scientologie sont assimilés à des religions dans certains pays et à des sectes ailleurs.
En Grèce, les Témoins de Jéhovah sont considérés comme une secte et le prosélytisme de leur part est réprimé par la loi.
Pourquoi les religions sont financées par l’Etat ?
Les religions jouent un rôle de cohésion sociale et assurent parfois des missions de service public, ce qui justifie un financement public.
Parfois ce financement est la contrepartie de la nationalisation des biens du clergé (cas de la Belgique ou de certains pays d’Europe centrale comme la Pologne).
Il convient de noter que les églises ont parfois un patrimoine considérable ainsi que des activités commerciales et restent, quand-même, subventionnées (Portugal, Espagne, Italie).
La Commission Européenne se penche d’ailleurs sur ce sujet dans le cadre d’une éventuelle distorsion de concurrence issue des activités commerciales des Églises.
Statut des non-croyants
Les non-croyants représentent une part significative de la population européenne : 80% d’athées en Tchéquie, 56% de non croyants en France, 40% d’incroyants en Allemagne. Quant à la Suède, seulement 15% de la population se déclare croyante.
A noter que la Roumanie se distingue avec 85% de sa population qui se déclare croyante.
De manière générale, il n’y a pas de statut spécifique pour les non-croyants en Europe, sauf exceptions régionales. La Belgique est le seul pays disposant, au niveau national, d’un statut pour la “laïcité organisée”, ceci depuis 1993.
En Espagne, la protection est plus importante pour les croyants que pour les non-croyants.
Politiques de l’intime
En Allemagne, l’IVG n’est pas dépénalisée et la GPA, ainsi que la PMA restent difficiles.
En Irlande, l’IVG n’est dépénalisée que depuis 2018. A Malte et en Pologne, celle-ci est très difficilement accessible. En revanche, les Pays-Bas disposent des délais les plus longs en la matière (autorisation jusqu’à 22 semaines de grossesse).
Concernant l’euthanasie active, celle-ci est autorisée aux Pays-Bas, en Belgique, en Espagne et au Portugal.
Le mariage pour tous existe aux Pays-Bas depuis 2001, en Belgique depuis 2003, en France depuis 2013. Il est également possible, depuis peu, en Irlande (suite à référendum) et en Grèce ( depuis 2024).
Au niveau de la protection du sacré, le blasphème est réprimé en Grèce et en Italie. L’Irlande et le Danemark ont supprimé récemment cette disposition.
Position de l’Union Européenne
L’UE préserve le droit national sur le sujet de la liberté de religion et de conscience.
Les institutions européennes ont, cependant, organisé un dialogue structuré avec les religions, ainsi qu’avec le courant laïque et la franc-maçonnerie, ceci depuis le traité de Lisbonne.
Par ailleurs, l’Europe s’est dotée d’un organe qui dépend de la présidence de la Commission et qui est chargé du dialogue avec les religions.
La Cour de Strasbourg, quant à elle, vise à préserver le respect des libertés tout en évitant d’interférer sur le religieux. Mais la jurisprudence est parfois contradictoire (deux options prises successivement sur le problème du crucifix à l’école en Italie).
A noter que de puissants lobbys religieux sont actifs à Bruxelles (catholiques, protestants, …).
On peut conclure que la situation des religions par rapport aux Etats est hétérogène en Europe. Mais, dans l’ensemble des pays, le dialogue et la coopération sont de mise.
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