Résumé de la conférence de Frédéric Gain au Cercle Ernest Renan le 25 avril 2024 — Comment peut-on encore être chrétien aujourd’hui ?

pierre Christianisme, Comptes Rendus juillet 29, 2025

Introduction

 

Frédéric Gain est docteur en philosophie antique et professeur en classes préparatoires littéraires. Il a notamment publié des traductions de Jean et de Luc.

Sa conférence vise à répondre à la question : “comment croire encore malgré les difficultés qui se présentent ?”

Pour cela, Frédéric Gain insiste sur la nécessité de distinguer l’essentiel de l’accessoire dans la pratique religieuse.

 

Un certain nombre de réalités interrogent sur la possibilité de croire aujourd’hui. Ainsi,  la persistance du mal physique et moral remet en cause l’existence d’un créateur voulant le bien de l’humanité. De plus, toute religion est porteuse de violence et d’intolérance vis-à-vis de l’intérieur (lutte contre les hérétiques) et de l’extérieur (lutte contre les infidèles). Par ailleurs, il est aujourd’hui admis par la science que l’homme ne se situe pas au centre de l’univers et que la religion n’apporte pas l’explication du monde. Enfin, il est difficile de définir précisément ce qu’est être chrétien, sinon de vivre en ayant confiance dans un être distinct de nous, que nous ne connaissons pas et que nous ne pouvons pas voir.

 

Ce qui rend difficile de croire

 

Cette problématique est ancienne. Elle a déjà été abordée par Platon par rapport à la religion de la Grèce antique. Il existe trois familles d’objections qui rendent aujourd’hui la croyance difficile. Il s’agit d’objections :

  • d’ordre moral autour de la notion de mal,
  • scientifiques en rapport avec l’infinité du monde,
  • liées à l’intolérance religieuse.

 

Pour Freud, la croyance relève de l’illusion et du désir d’échapper à l’angoisse.

Concernant le christianisme, Dieu est considéré comme le créateur tout puissant.

Pourtant, un constat peut être fait compte-tenu de la persistance de la souffrance, de l’injustice et du mal sur terre :

  • Soit Dieu est bon, mais il n’est pas tout puissant puisqu’il ne peut empêcher le mal.
  • Soit Dieu n’est pas bon, mais il est tout puissant.

Une interprétation voudrait que l’on considère que Dieu veut le bien, mais qu’il accepte le mal pour un bien encore plus grand. Cette approche est acceptable si le bien peut compenser le mal. Mais ne vaudrait-il pas mieux moins de bien et moins de mal également ?

 

Concernant les objections d’ordre scientifique, la question existentielle “d’où venons-nous ?” n’est pas résolue par la religion. La théorie darwinienne de la sélection naturelle relevant du hasard a mis à mal la vision de l’homme créé par Dieu. Par ailleurs, le caractère infini de l’univers est incompatible avec la vision religieuse. Quant au “big-bang”, il ne permet pas d’expliquer le commencement.

Enfin comment avoir confiance en un être dont on doute de l’existence ?

 

La violence religieuse rend également la croyance difficile. Le fait de considérer tout homme comme notre prochain et d’aimer notre prochain comme nous-mêmes reste un principe qui n’est jamais respecté. Au contraire, dans l’histoire, les religions ont toujours été un facteur de guerre, de dogmatisme et d’exclusion.

 

Des réponses à ces difficultés de croire

 

Pourtant, malgré ces objections, il existe des réponses possibles à cette difficulté de croire.

 

Tout d’abord, il faut considérer la foi non pas comme une croyance, mais comme une confiance. Être croyant, c’est s’en remettre à Dieu. Et il convient de dissocier la confiance en Dieu et les affirmations dogmatiques. Pour cela, on peut se référer au livre de Job. Job a un sentiment d’injustice se sachant innocent. Pourtant, Job garde confiance en Dieu et ne le maudit pas.

La foi ne donne pas de réponse mais répond à l’inquiétude. Elle constitue une absence de renoncement et elle est compatible avec une forme de doute théorique.

Le croyant est conscient de l’écart entre l’exigence morale et la faiblesse de sa volonté. Mais en se tournant vers Dieu le croyant perd son statut d’esclave. Ainsi le commandement de Dieu n’est pas une obéissance infantile. Seule la confiance en Dieu permet d’aimer les autres comme soi-même. La confiance en Dieu est la foi en une cause. Elle permet de ne pas se laisser décourager par ce qui ne relève pas de nous.

 

Par rapport aux objections d’ordre scientifique, on peut admettre que Dieu n’est pas nécessairement tout puissant. Pour autant, l’univers peut être le produit d’un être intelligent. Il existe, en effet, des vérités contingentes de l’univers comme les masses relatives des protons et des neutrons qui auraient pu prendre d’autres valeurs. Ainsi, Dieu n’a pas créé le monde en sachant par avance tout le détail de ce qui allait se produire. Il a seulement regardé l’aspect général.

On peut aussi admettre que Dieu est bon, mais qu’il n’est pas tout puissant car un univers n’était pas réalisable avec plus de bien que de mal.

Par ailleurs, il faut considérer que la création ne s’est pas faite ex-nihilo, mais qu’il s’agit plutôt d’une fondation. Dieu a institué des constantes fondamentales. Et tout est fait pour le mieux, même si l’on n’a aucun indice de cela.

 

La foi en Dieu est maintenue, mais en quoi va-t-elle évoluer ?

 

La foi en Dieu va nécessairement évoluer. Quel sera alors le nouveau visage de la foi chrétienne ? Peut-on encore se représenter Dieu comme un être personnel ?

 

Plusieurs approches tendent à refuser de considérer Dieu comme une personne. On se libère ainsi de l’anthropomorphisme qui vise à représenter Dieu à notre image ou comme une sorte de monarque.

On peut également s’interroger sur le fait que l’espèce humaine serait issue de la volonté de Dieu plutôt que d’une évolution liée au hasard de l’évolution. Ceci étant, si on renonce à la notion de Dieu comme une personne, peut-on faire confiance en un être qui n’est pas une personne ? Il faut, pour cela, faire confiance à celui qui a fait un choix général et inscrire notre action dans l’ordre du monde.

 

En matière d’interprétation des textes, l’écriture est la référence absolue dans le protestantisme. Chez les catholiques, l’écriture et l’enseignement de l’église se complètent. Selon Spinoza, il convient d’interpréter les textes de façon immanente et une traduction rigoureuse des textes porte le lecteur vers la prière et la méditation.

 

Toute religion est un phénomène collectif. Le croyant a besoin de penser qu’il n’est pas seul et qu’il forme un corps avec d’autres. L’idée de communauté a un sens, cela donne de la force.

 

 

Conclusion

 

On peut être chrétien aujourd’hui. La foi doit être considérée comme une confiance et non une adhésion à des dogmes. La notion de Dieu tout puissant est une invention destinée à satisfaire tous nos désirs. La foi n’entre pas en conflit avec la science. Il n’existe pas de destin dans l’univers et l’athéisme est lié à l’anachronisme de certains dogmes.

 

Dans ces conditions, Dieu peut être considéré comme un principe intelligent. Il conçoit certaines choses sans aller dans le détail, Dieu étant toujours soucieux du bien.

 

Il convient donc de parler de spiritualité plutôt que de religion. L’important est le rapport individuel à la foi et à la vision philosophique du monde, la notion d’église étant de moindre importance.

 

Malgré la violence inhérente aux religions, celles-ci constituent un ensemble de croyances et de pratiques qui unissent dans une même communauté. Le rapport au divin permet d’unir et de souder les fidèles, mais on exclut ainsi certains par distinction. En effet, dès lors qu’il y a phénomène de groupe, il y a exclusion potentielle.

 

Enfin, la foi conduit à la nécessité de se repenser. S’il n’y a aucun signe de la présence de Dieu dans notre vie, il est normal qu’il soit difficile de croire.

 

 

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