Résumé de la conférence de Guillaume Garnier au Cercle Ernest Renan le 5 juin 2024 — Missions catholiques intérieures et extérieures

Missions catholiques intérieures et extérieures

Introduction

Guillaume Garnier étudie l’anthropologie religieuse à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et travaille notamment à partir de la “Revue des missions catholiques africaines” ainsi que d’autres textes rédigés par les missionnaires.

Sa conférence aborde l’évolution des missions catholiques au 19ème et 20ème siècle en France (missions intérieures) et dans les colonies françaises d’Afrique (missions extérieures).

Ces activités missionnaires se sont largement développées dans le cadre de la reconstruction du catholicisme après la révolution française et se sont d’abord centrées sur la France des campagnes pour ensuite s’orienter vers les colonies.

Les prémisses des activités missionnaires intérieures

La Congrégation des Lazaristes, fondée par Saint Vincent de Paul, s’est donnée comme mission l’évangélisation du monde rural, ceci dès le 15ème siècle suite au concile de Trente.

Après la Révolution, les Jésuites, qui seront à nouveau autorisés en 1814, auront une approche similaire.

A cette époque, les missions consistent notamment à envoyer des missionnaires dans les campagnes de manière temporaire et à ériger des croix. Ces missions visent à aider au rétablissement de la religion catholique après la période révolutionnaire qui a désorganisé l’église de France.

Elles révèlent la nécessité de “reprise en main” des campagnes par l’église, de lutter contre les déserts spirituels qu’il faut évangéliser et de prévenir les risques de l’idolâtrie.

Ce travail missionnaire va s’amplifier au cours du second Empire avec comme cible les “cultivateurs” et l’ensemble du monde rural considéré comme arriéré avec des pratiques anachroniques. Mais ces actions n’étaient pas toujours bien perçues par les curés de campagne qui voyaient dans ces missions une sorte de concurrence à leur action.

A la fin du 19ème siècle, ces missions “intérieures” vont progressivement disparaître et seront remplacées par les missions “extérieures”.

Les missions extérieures

Les missions extérieures ont débuté dès le 15ème siècle avec les Jésuites en Chine. En Amérique Latine, également, les missions vont accompagner les colonisateurs.

En 1621, la Congrégation de la Propagande, dont l’objectif est d’organiser le cadre missionnaire, est placée directement sous l’autorité du Pape.

Mais c’est au 19ème siècle que l’idée missionnaire devient centrale par rapport aux colonies françaises d’Afrique.

Le courant romantique exalte l’aventure de la foi, quant à l’église, elle souhaite faire obstacle aux missions protestantes.

Dès 1815, les laïcs s’intéressent aussi aux missions et en 1822 est créée à Lyon l’Œuvre de la Propagation de la Foi. Cette institution, fondée par des laïcs, va collecter jusqu’au tiers des dons destinés aux missions extérieures.

Ce renouveau missionnaire va se poursuivre en 1856 avec la création de la Société des Missions Africaines, et en 1868 avec la Société des Missionnaires d’Afrique (les “Pères Blancs”) créée à Alger par le cardinal Lavigerie.

Le parallèle entre les missions intérieures et extérieures

Les missions intérieures et extérieures visent le même objectif d’évangélisation de populations jugées “ignorantes”.

Dans les textes du 19ème siècle, on retrouve des similarités concernant les “défauts” supposés dans les populations rurales de France et celles des colonies : ignorance, luxure, brutalité, orgueil, mépris de la personne humaine (pour les Africains), ivrogneries, …  La principale différence réside dans le fait que les défauts attribués aux “cultivateurs” de France sont considérés comme d’origine volontaire, alors que pour les africains ces défauts résulteraient de la nature de ces populations et notamment de la “malédiction de Cham”. La couleur noire étant symbole du péché.

La religion populaire des campagnes françaises est jugée anachronique. Les cultivateurs sont considérés comme des “sauvages de l’intérieur”.

En France, les missionnaires vont axer leur action vers la confession. En Afrique, ce sera vers l’éducation et la santé.

Que ce soit en France ou en Afrique, les missionnaires restent séparés de leurs ouailles et s’intègrent difficilement. En France, le curé et le missionnaire sont jugés comme ayant plus de pouvoirs que les sorciers. Et en Afrique, les missionnaires sont considérés comme les sorciers des blancs.

Les missions extérieures en Afrique

Au delà de leur mission tournée vers l’évangélisation, les missionnaires sont reconnus pour leur rôle scientifique. Ce rôle scientifique est assumé et on en retrouve des traces dans les publications de l’époque comme le “Bulletin des missions catholiques” ou les “Annales de la propagation de la foi”.

Les missionnaires travaillent ainsi sur l’anthropologie, la linguistique ou les maladies tropicales.

En termes de linguistique, les missionnaires se doivent de maîtriser la langue des peuples au milieu desquels ils vivent afin de pouvoir mieux les évangéliser.

En termes d’anthropologie, les missionnaires sont sur le terrain et peuvent apporter des informations intéressantes aux “anthropologues de cabinet” qui ne se déplacent pas encore au milieu de l’Afrique.

Les missionnaires et les autorités coloniales

La rencontre entre les autorités colonisatrices et religieuses est parfois compliquée car chacun porte des intérêts divergents.

L’objectif de l’église est bien l’évangélisation des populations, mais en aucun cas de rajouter de nouveaux citoyens à la France.

Pour autant, même si au départ les missionnaires ne se mêlent pas de politique, la collaboration avec les autorités administratives coloniales va rapidement s’instaurer pour des raisons pratiques. Et ainsi, on aboutira à la situation dans laquelle “celui qui porte la croix porte le drapeau de son pays”.

L’évolution du rôle des missionnaires

Au départ, le rôle des missionnaires est bien la conversion du plus grand nombre. On retrouve d’ailleurs, dans les publications, des chiffres indiquant annuellement le nombre de conversions effectuées.

Mais à partir des années 1930, l’idée du Vatican est de promouvoir un clergé indigène. On s’oriente alors vers un objectif de “juste colonisation” et “d’humanisme colonial” avec comme but le bien et le progrès des peuples colonisés.

Les missionnaires vont alors s’efforcer de comprendre les sociétés indigènes pour les adapter au monde moderne tout en combattant le paganisme et le fétichisme.

Pour autant, dans une vision paternaliste, les missionnaires vont tenter d’éloigner les populations africaines de certains travers de la société occidentale comme la consommation d’alcool ou l’abandon de la religion.

 

 

 

 

 

 

Résumé de la conférence de Dominique Desjeux au Cercle Ernest Renan le 29 février 2024

Analyse historique (-1200 à +400) et anthropologique de la christianisation de l’Empire Romain

Introduction

Dominique Desjeux est anthropologue et sociologue, élève de Michel Crozier, et auteur de plusieurs ouvrages. Il a notamment écrit “Le marché des Dieux” qui explique comment naissent les innovations religieuses.

Il est spécialiste de l’analyse stratégique et ses travaux portent, notamment, sur l’organisation, l’analyse du changement et l’innovation.

La présente conférence a pour objectif de présenter une approche permettant d’expliquer “comment le christianisme a réussi ?”, cette approche reposant sur l’analyse du changement.

Contexte général

Il n’existe pas de société sans croyance. Et ces croyances, notamment religieuses, s’analysent par rapport à la protection qu’elles apportent dans la vie et par rapport à la mort. Le monothéisme, ou plus précisément l’existence d’un dieu dominant (hénothéisme), a pour origine l’ancienne Egypte avec Akhenaton et le culte du dieu du soleil : Rê. Il s’agit, à ce moment-là, d’une rupture fondamentale dans la religion avec ce dieu unique. On peut penser que Moïse a été influencé par cette nouvelle religion née en Egypte.

Les crises de l’histoire

Les crises sociales ont eu une influence forte dans l’évolution des religions.

Les grands moments de changements en matière religieuse et dans les sociétés sont, en effet, liés à des crises climatiques, des épidémies, des guerres, des difficultés économiques, … Ces crises font partie de l’histoire et l’on peut en identifier cinq qui ont conduit à la christianisation de l’Empire Romain.

La crise du cuivre

La première grande crise qui touche le bassin méditerranéen concerne l’exploitation du cuivre qui vient à manquer en raison de sa forte utilisation (civilisation mycénienne). Les régions les plus riches ont ainsi, selon la croyance, un dieu puissant qui les protège. La religion est perçue d’abord comme une question d’utilité. Il existe un lien fort entre croyance et efficacité. Un dieu puissant doit être protecteur, sinon on en change. Ainsi, Yahvé, un dieu du sud d’Israël est considéré comme puissant et protecteur.

 

La crise de l’exil

L’exil des juifs de Babylone touche une importante population estimée à 250 000 individus. L’affirmation du monothéisme juif, sous influence babylonienne, date de cette époque.

La crise de la domination grecque

Au IVe siècle avant Jésus-Christ, sous la domination grecque autour de la Méditerranée, le monothéisme juif prend son essor. Il est porté par le développement de la diaspora juive qui fait du commerce dans tout le bassin méditerranéen, par le prosélytisme et par la langue commune, la Koinè. Les principaux débats de cette époque tournent autour de la vie éternelle et de la circoncision.

Plusieurs groupes juifs apparaissent dont les Sadducéens (prêtres du temple), les Pharisiens qui ont protégé les textes du temple dans les grottes de Qumrân, les Zélotes qui sont des nationalistes, les Esséniens. A priori, Jésus faisait partie de l’un de ces quatre groupes. Il était vraisemblablement un pharisien.

La crise de la destruction du second temple de Jésusalem

La destruction du second temple en l’an 70 de notre ère constitue, pour le judaïsme, un enjeu de survie. Certains juifs estiment que cette survie de la religion nécessite de se recentrer sur la Torah et ses 613 règles. D’autres, au contraire, pensent qu’il faut simplifier les règles en se revenant aux bases de la religion, en plus de la promesse de la vie éternelle.

Après la destruction du temple, la population juive diminue de manière importante en passant de 7 (ou 5 millions) à 2 (ou 1 millions) en 500 ans. Pour les rabbins, pour être un bon juif, il est nécessaire d’aller à l’école. Du fait, en raison des règles compliquées de la religion, les juifs sont une population éduquée. Mais comme les cultivateurs juifs ne vont pas à l’école, ils préfèrent se tourner vers une sorte de “judaïsme simplifié”. Les chrétiens sont issus de cette scission au sein des juifs. Le christianisme va ensuite se développer autour des grecs.

La crise monétaire de l’empire romain du IVe  siècle

Cette crise constitue un facteur de succès déterminant du christianisme. La monnaie romaine ne valant plus rien, l’empereur Constantin souhaite trouver un moyen de revaloriser sa monnaie afin de payer ses soldats. En adoptant le christianisme (édit de Milan), il peut aisément piller les temples des autres religions et s’approprier leurs richesses, ce qui va lui permettre de frapper une nouvelle monnaie, le “Solidus”.

Le concile de Nicée va ensuite créer des règles, c’est-à-dire une sorte de “standard”, qui va favoriser encore plus le développement du christianisme dans l’Empire.

 

NB : la présentation du Professeur Desjeux est disponible dans la partie de ce site réservée aux adhérents

 

 

le CER a reçu Julien Théry sur le thème du rôle des persécutions religieuses dans la formation des États modernes

Résumé de la conférence de Julien Théry au Cercle Ernest Renan

le 11 janvier 2024

Le rôle des persécutions religieuses dans la formation des États modernes : le cas français (v. 1200-v.1700)

Introduction

Julien Thery est un historien français, professeur des universités et spécialiste de l’histoire médiévale. Il a été le traducteur de Robert Ian Moore, historien britannique, spécialiste de l’histoire du Moyen Âge et auteur notamment de l’ouvrage : “The Formation of a Persecuting Society : Power and Deviance in Western Europe, 950-1250”.

Dans le cadre de sa conférence, Julien Thery développe la thèse selon laquelle les États modernes d’Occident sont devenus des sociétés persécutrices envers les minorités, en relation avec le développement de pouvoirs centralisés issus notamment de l’Église Catholique.

La naissance des États modernes

Les États d’Occident vont se développer, sous leur forme moderne, à partir du Moyen Âge central. Le fonctionnement de ces appareils étatiques va prendre comme modèle les institutions ecclésiastiques issues des réformes du Pape Innocent III qui a mis en place une théocratie pontificale et qui a renforcé l’autorité du Saint-Siège.

Lorsque l’institution romaine aura perdu les moyens de ses ambitions universelles, ce sont les entités séculaires, notamment en France avec Philippe le Bel ou en Angleterre avec Edouard VIII, qui vont revendiquer leur légitimité et continuer de fonctionner en restant marqués par leurs origines religieuses catholiques.

L’une des caractéristiques du fonctionnement de ces institutions sera la capacité d’agir et de décider de la situation d’exception et d’identifier des minorités qui seront pourchassées et réprimées pour les empêcher de nuire.

Cette forme de répression est nouvelle et va s’exercer d’abord envers les hérétiques qui constituent un danger pour la chrétienté, puis les juifs (massacres et expulsions à la fin du 12ème siècle), les lépreux, les homosexuels et plus tard les sorcières.

Au 13ème siècle, ces minorités seront même accusées d’empoisonner des puits ou de meurtres d’enfants.

Le rôle des persécutions

Selon l’hypothèse de Moore, l’essor des persécutions correspond exactement à la période où sont créés les pouvoirs centralisés. L’éclatement du monde Carolingien, qui reposait sur un mode de gouvernance relativement souple et décentralisé, laisse la place à des institutions princières et royales fortes qui soumettent les autorités féodales locales et les seigneuries.

C’est en Angleterre que ce phénomène va d’abord se développer, il gagnera ensuite la France et le Portugal. Un conflit avec la Papauté va rapidement intervenir car, jusque-là, la monarchie pontificale tenait et administrait ces différents royaumes.

Les modalités de persécution issues de l’Église vont s’étendre aux différents États d’Occident. Les pouvoirs en place veulent, en effet, pouvoir intervenir dans les communautés et le système de représentation politique inventé dans les États Pontificaux va s’étendre avec la mise en place de chartres avec les représentants des  communautés pour prendre leur contrôle. Ce sera notamment le cas des corporations de métiers.

La procédure inquisitoire

Au niveau judiciaire, les techniques d’enquête vont également prendre modèle sur la tradition ecclésiastique inquisitoire. La procédure inquisitoire vise à rechercher la vérité absolue. L’Église peut ainsi engager des poursuites sur la seule foi du témoignage de notables, témoins de chrétienté, même s’il n’y a pas de tiers accusateur. Le ministère public pourra dorénavant engager les poursuites dans le seul intérêt de l’Église ou du roi. Cette procédure va à l’encontre du droit romain où il n’existe pas de vérité absolue et où l’on juge en fonction des seules preuves présentées au procès, et non pas selon sa conscience.

L’Inquisition, qui naîtra par la suite, est une juridiction d’exception qui vise à défendre l’intérêt public et être au service de la foi. L’objectif du juge est uniquement d’établir la vérité à partir des éléments dont il dispose et de sa conscience, ceci sans que l’accusé ne puisse réellement se défendre. Plus tard, le combat des Lumières visera à mettre fin à l’arbitraire dans lequel la défense n’a aucun droit.

Les premiers à pâtir de la pratique inquisitoire ont été les prélats avec la possibilité, pour un moine ou un abbé, de dénoncer un évêque par exemple. Cette approche permettait de contrôler la hiérarchie ecclésiastique et de combattre les mouvements évangéliques.

L’accusation d’hérésie sera ensuite utilisée comme une ressource, notamment par Philippe le Bel qui, en s’attaquant aux Templiers et en déclarant ainsi une grande victoire de la foi, s’est attaqué en fait à l’autorité du Pape et a fait acte d’absolutisme.

Conclusion

On peut ainsi conclure que la chasse contre l’ennemi intérieur est l’un des principaux moteurs du fonctionnement des pouvoirs centralisés. Cette logique persécutrice a été mise en place, à l’origine, par la théocratie pontificale et ensuite a été reprise par les pouvoirs royaux, et notamment l’État français, afin de conforter leur autorité.

La question de la menace de l’ennemi intérieur et la capacité des appareils d’État à décréter l’exception restent, encore aujourd’hui, des réalités.

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Julien Théry : Historien. Religion & politique, gouvernement & résistances depuis le Moyen Âge latin.

Il est titulaire d’une mâitrise (Paris I Sorbonne, 1994), agrégé en histoire (1995), d’un DEA (Université Lyon II Lumières, 1998), archiviste paléographe, diplômé de l’École des Chartes (1996-1998), il a soutenu sa thèse intitulée : La parole aux albigeois : le procès de Bernard de Castanet, évêque d’Albi (1307-1308) (mars. 2000).
Docteur en histoire de l’Université de Lyon 2, il soutient sa thèse intitulée,
Fama, enormia : l’enquête sur les crimes de l’évêque d’Albi Bernard de Castanet (1307-1308) : gouvernement et contestation au temps de la théocratie pontificale et de l’hérésie des bons hommes (déc. 2003). Ancien membre de l’Ecole française de Rome (2004).
Il est professeur en histoire de l’Occident médiéval à l’Université Montpellier 3 (depuis 2011) et l’Université Lyon II Lumières (CIHAM)(2016-2020)

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dernièrement : Les hérétiques « cathares » (PUF, à paraître, mai 2020) , Le livre des sentences de l’inquisiteur Bernard Gui (CNRS, janv. 2018)
et de nombreux articles et contributions scientifiques consacrés l’histoire médiévale.

Il anime l’émission d’histoire « La Grande H. » sur la chaîne média digital LeMédiaTV.

Michel Castro nous parle de la Nouvelle Théologie

Résumé de la conférence de Michel Castro au Cercle Ernest Renan

le 26 octobre 2023

Entre crise moderniste et Vatican II, la Nouvelle Théologie pour réconcilier église et modernité

Introduction

Michel Castro est un prêtre catholique, docteur en théologie, ancien professeur à la faculté de théologie de Lille et aujourd’hui vicaire en paroisse. Il se propose d’évoquer, lors de cette conférence, la “Nouvelle Théologie” qui est un courant de pensée catholique apparu dans la première moitié du 20ème siècle. Cette Nouvelle Théologie prend ses distances avec la théologie scolastique, qui est alors enseignée, ainsi qu’avec les approches dogmatiques. Michel Castro évoque le jésuite Henri Bouillard qui est l’un des protagonistes de la Nouvelle Théologie et aussi l’une de ses “victimes”.

La restauration Thomiste

La restauration thomiste date d’une encyclique de Léon XIII de 1879 qui recommande l’enseignement scolastique. Par la suite, Pie X condamne le modernisme et fait du thomisme l’orthodoxie à observer. Cette approche dogmatique repose sur une présentation autoritaire, sans souci de vérification critique. Elle vise à actualiser le sens du message chrétien avec deux objectifs : conquérir les consciences, puis ensuite défendre le catholicisme durant une période troublée par la crise moderniste. L’enseignement romain va consacrer le thomisme jusqu’à Jean XXIII. Il repose sur des moyens institutionnels (congrégations et instituts romains, séminaires internationaux à Rome) et des moyens humains (le théologien Charles Boyer sera un fervent défenseur du thomisme). Cet enseignement néo-scolastique repose sur des professeurs qui rédigent des manuels de théologie, souvent écrits en latin, et qui imposent une manière de penser déductive qui permet de “raisonner juste” face aux “déviances”. Le théologien Réginald Garrigou-Lagrange ira jusqu’à affirmer que “les faits, c’est pour les crétins”. Cette théologie romaine s’appuie sur Saint Thomas d’Aquin pour expliquer la rationalité de la foi. Elle est reproductive et répétitive. Elle s’oppose aux “déviants” comme Descartes, Rousseau, Freud, Sartre, Nietzsche, …

Application de la méthode historique aux écrits de Saint Thomas d’Aquin

La découverte de la méthode historique appliquée aux écrits de Saint Thomas d’Aquin sera à la base de la Nouvelle Théologie. Elle sera portée par des prêtres, mais également des intellectuels laïcs (les “théologiens en veston”) comme Etienne Gilson.

L’idée est de remettre les écrits de Saint Thomas d’Aquin dans leur contexte historique et de revenir aux écrits de Saint Thomas lui-même et non à ceux de ses commentateurs. Les jalons de l’approche herméneutique sont posés et conduisent à distinguer le thomisme de Thomas lui-même et le thomisme de ses commentateurs.

C’est notamment au couvent dominicain du Saulchoir que va se développer cette critique historique portée par les écrits de Pierre Mandonnet ou de Marie-Dominique Chenu (“un théologien en liberté”).

Le père Marie-Joseph Lagrange a appliqué la méthode historique à l’étude de la Bible. Il sera soupçonné de modernisme et vivement critiqué avec interdiction de publication et blâmes. Sa méthode sera condamnée par le pape Benoît XV en 1920.

Lorsque Marie-Dominique Chenu utilisera cette même méthode historique pour l’étude des écrits de Saint Thomas, cette approche sera, à nouveau, contestée par les plus hautes autorités ecclésiastiques. Cela conduira à la compromission du Saulchoir, ainsi que des Jésuites de Fourvière.  L’encyclique Humani Generis du pape Pie XII en 1950 “sur quelques opinions qui menacent de ruiner les fondements de la doctrine catholique” viendra clore provisoirement cette polémique.

Conversion de grâce chez Saint Thomas d’Aquin

Henri Bouillard, dans sa soutenance de thèse à Fourvière (“Conversion et grâce chez Saint Thomas d’Aquin”), explique les principes de sa méthode de travail. Il met l’accent sur le rôle de l’homme dans la conversion et il soutient que Saint Thomas n’a pas le même point de vue, quant à l’articulation entre nature et grâce, du début à la fin de sa vie. Ainsi, Bouillard explique que la pensée de Saint Thomas ayant évolué au cours de sa vie, il faut s’astreindre à étudier ses œuvres dans l’ordre. De même, il insiste sur la nécessité de situer l’auteur dans son temps. Bouillard manifeste ainsi que la théologie est historiquement située, même si la vérité divine est permanente.

Il suggère la pluralité du thomisme, ce qui va à l’encontre des thèses d’intemporalité du thomisme enseignées par l’autorité ecclésiastique de cette époque.

L’affaire de Fourvière

L’affaire de Fourvière se déclenche à partir de 1945 et conduit à de graves sanctions à l’encontre des tenants de la méthode historico-critique soupçonnés de modernisme (le père Henri de Lubac, Bouillard, Durand, Henri Rondet). Ils sont démis de leurs fonctions, interdits d’enseignement et leurs ouvrages sont retirés des bibliothèques.

L’encyclique Humani Generis réaffirme l’autorité des magistères en matière de foi et prône un retour aux sources pour exprimer le dogme dans des notions philosophiques actuelles. Ceci constitue une mise au pas des Jésuites de Fourvière.

Conclusion

La Nouvelle Théologie est au centre de l’affrontement entre théologie dogmatique et théologie herméneutique. Contre la restauration thomisme, l’application de la méthode historique consacre la théologie herméneutique.

L’affaire de Fourvière constitue une victoire toute provisoire de la théologie dogmatique. Celle-ci sera remise en cause lors de Vatican II qui jouera un rôle majeur dans l’ouverture vers l’historicité.

On peut considérer que Bouillard incarne un tiers parti entre les réactions moderniste et dogmatique. Il devra, en effet, batailler sur deux fronts :

  • contre le dogmatisme,
  • contre le radicalisme des progressistes.

Il propose un thomisme vivant qui prend à bras le corps les problèmes de son temps.

A noter qu’aujourd’hui, seuls les milieux traditionalistes, au sein de l’église, ont conservé la vision dogmatique.

 

Frédéric Gugelot : se convertir à Dieu au 20ème et au 21ème siècles

Résumé de la conférence de Frédéric Gugelot au Cercle Ernest Renan

le 22 juin 2023

Se convertir à Dieu au 20ème  et au 21ème siècles

Introduction

Frédéric Gugelot est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Reims, spécialiste d’histoire culturelle et religieuse. Ses travaux de recherche portent notamment sur la conversion au catholicisme de la part des intellectuels.

Son constat, que l’on retrouve également chez Danièle Hervieu-Léger dans “Le pélerin et le converti, la religion en mouvement” est que la religion, loin de disparaître au sein de nos sociétés sécularisées et laïques, au contraire se développe selon de nouvelles formes où la figure du converti l’emporte sur celle, classique, du pratiquant. Ainsi, la montée de l’individualisation n’a pas fait disparaître la foi.

Pourtant, en 1908, dans un célèbre discours, René Viviani alors ministre du travail annonçait fièrement que la science avait vaincu la foi : “Nous avons arraché les consciences humaines à la croyance… Nous avons éteint dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera plus !”

Alors, comment expliquer ce regain d’intérêt pour la religion et l’augmentation du nombre de nouveaux convertis ?

La défiance vis à vis du nouveau converti

Traditionnellement, les églises se méfient des nouveaux convertis. C’était le cas de l’église catholique au début du 20ème  siècle, ceci malgré les difficultés qu’elle rencontrait à cette époque. Autrefois, on suivait la religion de ses pères et celle-ci n’était pas accueillante pour le converti qui attirait la défiance et pouvait être considéré comme une sorte de traître ou d’apostat dont on doutait de l’authenticité de la foi : “Dès que quelqu’un se convertit à quoi que ce soit, on l’envie tout d’abord, puis on le plaint, ensuite  et on le méprise” (Emil Cioran).

Ainsi, dans le judaïsme, le converti ne peut pas devenir rabbin. Dans l’empire Espagnol, les marranes, qui avaient conservé leurs traditions juives, étaient méprisés. Les crypto-chrétiens dans l’empire Ottoman qui masquaient leur véritable religion, comme les chrétiens cachés du Japon qui conservaient des pratiques clandestines ou souterraines étaient pourchassés.

Aujourd’hui pourtant, on assiste à beaucoup de baptêmes d’adultes qui sont souvent mis en scène à Pâques à des fins de communication.

Le converti dérange les héritages historiques, mais il est valorisé de nos jours car il redonne un sens et une vigueur à la pratique religieuse. Le récit de la conversion devient une sorte de propagande, les convertis venant remplacer les martyrs dans l’imaginaire collectif.

Pourquoi se convertir au 20ème siècle ?

Un état de mal-être est très souvent à l’origine de la conversion. Ce mal-être peut avoir une origine personnelle ou être lié à l’état de crise de la société.

C’est la quête de sens qui explique ainsi l’adhésion au catholicisme d’un certain nombre d’écrivains et d’intellectuels dans un 20ème  siècle pourtant largement sécularisé. C’est le cas d’Huysmans, d’Ernest Psichari, de Max Jacob, de Charles de Foucauld…

L’adhésion au catholicisme s’explique notamment par la recherche d’un idéal de vie intérieure et par la volonté de réalisation de soi. Mais elle a également pour origine la quête d’un ordre intérieur ou politique, l’église étant considérée comme une discipline.

Le converti passe ainsi d’une fausse religion à la foi. C’est un changement radical qui ne concerne pas uniquement le phénomène religieux. Non seulement on change de foi, mais surtout on cherche à acquérir une foi dans laquelle on se reconnaît.

Le retour à la religion permet de rejeter un monde marchand, sans âme et sans valeurs. On se rattache ainsi à la France d’hier en restant fidèle aux pères de nos pères. La religion offre un débouché et permet l’accomplissement de soi. La communion agit comme un médicament : “l’hostie doit être prise comme un cachet d’aspirine” (Max Jacob répondant ainsi à Jean Cocteau).

Mais le problème du converti, c’est de ne pas rester seul et de pouvoir appartenir complètement à la communauté. Pour cela, Paul Claudel avait créé une “coopérative de prière” avec l’édition d’un bulletin permettant d’aider les convertis à renforcer leur foi.

Questions/réponses : les conversions aux “autres religions”

Du côté du protestantisme, on observe, à la fin du 20ème  et au début du 21ème siècle, l’émergence des évangélistes qui prennent une place de plus en plus grande notamment en Amérique Latine, en Afrique ou en Corée.

Le judaïsme n’est pas en reste. Il ne s’agit pas d’une religion fermée, mais elle ne communique pas sur la conversion. Pourtant celle-ci a toujours été possible. Le judaïsme était accessible à l’époque Romaine (au 3ème  et 4ème  siècle après Jésus-Christ). Et au 19ème  siècle il y aura autant de juifs qui se convertiront au christianisme que de chrétiens se convertissant au judaïsme, souvent à la suite de mariages.

Dans l’islam, la montée récente du fondamentalisme peut s’expliquer par un rejet du monde tel qu’il est.

La conversion à une secte relève de la même quête de sens que la conversion à une religion. Le 20ème  siècle est, en effet, une période de “crise du récit” avec l’émergence de “récits alternatifs”. Ainsi, en 1944, Raymond Aron parle de “religions séculières” à propos du nazisme et du communisme, avec le culte du chef et même ses hérétiques comme les trotskystes.

La montée des conversions s’accompagne de deux courants : l’un libéral, l’autre identitaire qui veut lutter contre la décadence du pays et la décadence religieuse. Ce courant identitaire est généralement en lien avec les idéologies de droite : la poussée de l’islam rappelle que l’on est catholique et la crise sociétale conduit à rechercher l’ordre individuel et collectif.