Résumé de la conférence de Jean-Baptiste Brenet : Averroès

Résumé de la conférence de Jean-Baptiste Brenet au Cercle Ernest Renan

le 20 juin 2024    Averroès

Introduction

Jean-Baptiste Brenet est professeur à l’Université Paris – I Panthéon Sorbonne où il enseigne l’histoire de la philosophie. Il est notamment l’auteur de l’ouvrage “Averroès l’inquiétant”.

Contexte historique

Averroès est un andalou qui travaille pour le pouvoir Berbère. Il a vécu au 12ème siècle (1126 naissance à Cordoue, 1198 mort à Marrakech). On ne connaît pas son origine ethnique, mais c’est un penseur arabe par sa langue et il est musulman.

Averroès est un homme éduqué, fils et petit-fils de notables. Son père et son grand-père étaient des juges réputés et sa famille était proche du pouvoir.

La dynastie Berbère des Almoravides pour laquelle travaillait sa famille va être renversée en 1146 par Abd al-Mumin qui fonde la dynastie des Almohades.

Averroès va rester un homme de pouvoir mais va servir une autre dynastie que ses parents. Il sera juge à Séville et Cordoue, mais également médecin privé du Calife.

Le pouvoir Almohades, rigoriste mais en même temps favorable à la rationalité, va appuyer sa carrière de philosophe.

Averroès est omniscient. Il estime que toutes les religions sont bonnes mais que l’islam est la meilleure des religions car le texte coranique est le meilleur discours que l’on puisse donner au monde. Il milite pour introduire de la philosophie dans la cité.

A la fin de sa vie, Averroès connaîtra une période de disgrâce dont on ignore précisément la cause.

Les travaux d’Averroès

Averroès va lire et commenter Aristote durant toute sa vie. Sa philosophie et ses écrits vont ensuite circuler dans tout le Moyen-Orient.

Averroès, tout en gardant sa vision de musulman, réfute l’approche d’Al-Ghazali qui s’oppose aux philosophes grecs. Pour Al-Ghazali, la philosophie grecque est condamnable sur différents aspects et notamment sur le fait que Dieu ne connaît pas les choses singulières, qu’il n’y a pas de résurrection des corps et que le monde est éternel, ce qui signifie qu’il n’y a pas eu de création. Il convient de noter que les œuvres d’Al-Ghazali ont été brûlées par les Almoravides.

Bien que connu dans le monde musulman, Averroès aura cependant beaucoup moins d’impact en Orient qu’Avicenne par exemple. C’est principalement en Occident que ses écrits sur Aristote vont faire référence car il sera très vite traduit en hébreu et en latin. Ainsi, la principale gloire d’Averroès aura été de commenter Aristote.

Les attaques contre les commentaires d’Aristote par Averroès

La philosophie grecque retrouve un intérêt en Occident à la fin du 12ème siècle et les commentaires d’Averroès deviendront une référence pour appréhender la pensée d’Aristote, notamment pour Saint Thomas d’Aquin. Mais une partie des commentaires d’Averroès va rapidement faire scandale auprès de l’église dans la mesure où il aborde la notion de monopsychisme.

Thomas d’Aquin n’accepte pas cette vision d’un intellect unique qui serait séparé de l’individu. En effet, pour Thomas d’Aquin chaque homme pense pour son propre compte.

Tout en restant incontournable pour ses commentaires d’Aristote, Averroès va donc être attaqué par les penseurs chrétiens et Thomas d’Aquin va tout faire pour détruire sa réputation. Plus tard, Renan va s’inscrire dans la suite de Thomas d’Aquin.

Ainsi Averroès va être critiqué durant des siècles et considéré comme un mauvais commentateur. L’opposition de Thomas d’Aquin par rapport à Averroès n’est en aucun cas religieuse, mais philosophique. Ils ne comprennent pas Aristote de la même manière, et d’ailleurs personne ne s’entend sur ce pensait réellement Aristote sur l’intellect.

Aujourd’hui encore on continue à attaquer Averroès sur sa vision du monopsychisme. Mais certaines pensées contemporaines s’avèrent pourtant assez proches de celles énoncées par Averroès.

 

Résumé de la conférence de Frédéric Gain au Cercle Ernest Renan le 25 avril 2024 — Comment peut-on encore être chrétien aujourd’hui ?

Introduction

Frédéric Gain est docteur en philosophie antique et professeur en classes préparatoires littéraires. Il a notamment publié des traductions de Jean et de Luc.

Sa conférence vise à répondre à la question : “comment croire encore malgré les difficultés qui se présentent ?”

Pour cela, Frédéric Gain insiste sur la nécessité de distinguer l’essentiel de l’accessoire dans la pratique religieuse.

Un certain nombre de réalités interrogent sur la possibilité de croire aujourd’hui. Ainsi,  la persistance du mal physique et moral remet en cause l’existence d’un créateur voulant le bien de l’humanité. De plus, toute religion est porteuse de violence et d’intolérance vis-à-vis de l’intérieur (lutte contre les hérétiques) et de l’extérieur (lutte contre les infidèles). Par ailleurs, il est aujourd’hui admis par la science que l’homme ne se situe pas au centre de l’univers et que la religion n’apporte pas l’explication du monde. Enfin, il est difficile de définir précisément ce qu’est être chrétien, sinon de vivre en ayant confiance dans un être distinct de nous, que nous ne connaissons pas et que nous ne pouvons pas voir.

Ce qui rend difficile de croire

Cette problématique est ancienne. Elle a déjà été abordée par Platon par rapport à la religion de la Grèce antique. Il existe trois familles d’objections qui rendent aujourd’hui la croyance difficile. Il s’agit d’objections :

  • d’ordre moral autour de la notion de mal,
  • scientifiques en rapport avec l’infinité du monde,
  • liées à l’intolérance religieuse.

Pour Freud, la croyance relève de l’illusion et du désir d’échapper à l’angoisse.

Concernant le christianisme, Dieu est considéré comme le créateur tout puissant.

Pourtant, un constat peut être fait compte-tenu de la persistance de la souffrance, de l’injustice et du mal sur terre :

  • Soit Dieu est bon, mais il n’est pas tout puissant puisqu’il ne peut empêcher le mal.
  • Soit Dieu n’est pas bon, mais il est tout puissant.

Une interprétation voudrait que l’on considère que Dieu veut le bien, mais qu’il accepte le mal pour un bien encore plus grand. Cette approche est acceptable si le bien peut compenser le mal. Mais ne vaudrait-il pas mieux moins de bien et moins de mal également ?

Concernant les objections d’ordre scientifique, la question existentielle “d’où venons-nous ?” n’est pas résolue par la religion. La théorie darwinienne de la sélection naturelle relevant du hasard a mis à mal la vision de l’homme créé par Dieu. Par ailleurs, le caractère infini de l’univers est incompatible avec la vision religieuse. Quant au “big-bang”, il ne permet pas d’expliquer le commencement.

Enfin comment avoir confiance en un être dont on doute de l’existence ?

La violence religieuse rend également la croyance difficile. Le fait de considérer tout homme comme notre prochain et d’aimer notre prochain comme nous-mêmes reste un principe qui n’est jamais respecté. Au contraire, dans l’histoire, les religions ont toujours été un facteur de guerre, de dogmatisme et d’exclusion.

Des réponses à ces difficultés de croire

Pourtant, malgré ces objections, il existe des réponses possibles à cette difficulté de croire.

Tout d’abord, il faut considérer la foi non pas comme une croyance, mais comme une confiance. Être croyant, c’est s’en remettre à Dieu. Et il convient de dissocier la confiance en Dieu et les affirmations dogmatiques. Pour cela, on peut se référer au livre de Job. Job a un sentiment d’injustice se sachant innocent. Pourtant, Job garde confiance en Dieu et ne le maudit pas.

La foi ne donne pas de réponse mais répond à l’inquiétude. Elle constitue une absence de renoncement et elle est compatible avec une forme de doute théorique.

Le croyant est conscient de l’écart entre l’exigence morale et la faiblesse de sa volonté. Mais en se tournant vers Dieu le croyant perd son statut d’esclave. Ainsi le commandement de Dieu n’est pas une obéissance infantile. Seule la confiance en Dieu permet d’aimer les autres comme soi-même. La confiance en Dieu est la foi en une cause. Elle permet de ne pas se laisser décourager par ce qui ne relève pas de nous.

Par rapport aux objections d’ordre scientifique, on peut admettre que Dieu n’est pas nécessairement tout puissant. Pour autant, l’univers peut être le produit d’un être intelligent. Il existe, en effet, des vérités contingentes de l’univers comme les masses relatives des protons et des neutrons qui auraient pu prendre d’autres valeurs. Ainsi, Dieu n’a pas créé le monde en sachant par avance tout le détail de ce qui allait se produire. Il a seulement regardé l’aspect général.

On peut aussi admettre que Dieu est bon, mais qu’il n’est pas tout puissant car un univers n’était pas réalisable avec plus de bien que de mal.

Par ailleurs, il faut considérer que la création ne s’est pas faite ex-nihilo, mais qu’il s’agit plutôt d’une fondation. Dieu a institué des constantes fondamentales. Et tout est fait pour le mieux, même si l’on n’a aucun indice de cela.

La foi en Dieu est maintenue, mais en quoi va-t-elle évoluer ?

La foi en Dieu va nécessairement évoluer. Quel sera alors le nouveau visage de la foi chrétienne ? Peut-on encore se représenter Dieu comme un être personnel ?

Plusieurs approches tendent à refuser de considérer Dieu comme une personne. On se libère ainsi de l’anthropomorphisme qui vise à représenter Dieu à notre image ou comme une sorte de monarque.

On peut également s’interroger sur le fait que l’espèce humaine serait issue de la volonté de Dieu plutôt que d’une évolution liée au hasard de l’évolution. Ceci étant, si on renonce à la notion de Dieu comme une personne, peut-on faire confiance en un être qui n’est pas une personne ? Il faut, pour cela, faire confiance à celui qui a fait un choix général et inscrire notre action dans l’ordre du monde.

En matière d’interprétation des textes, l’écriture est la référence absolue dans le protestantisme. Chez les catholiques, l’écriture et l’enseignement de l’église se complètent. Selon Spinoza, il convient d’interpréter les textes de façon immanente et une traduction rigoureuse des textes porte le lecteur vers la prière et la méditation.

Toute religion est un phénomène collectif. Le croyant a besoin de penser qu’il n’est pas seul et qu’il forme un corps avec d’autres. L’idée de communauté a un sens, cela donne de la force.

Conclusion

On peut être chrétien aujourd’hui. La foi doit être considérée comme une confiance et non une adhésion à des dogmes. La notion de Dieu tout puissant est une invention destinée à satisfaire tous nos désirs. La foi n’entre pas en conflit avec la science. Il n’existe pas de destin dans l’univers et l’athéisme est lié à l’anachronisme de certains dogmes.

Dans ces conditions, Dieu peut être considéré comme un principe intelligent. Il conçoit certaines choses sans aller dans le détail, Dieu étant toujours soucieux du bien.

Il convient donc de parler de spiritualité plutôt que de religion. L’important est le rapport individuel à la foi et à la vision philosophique du monde, la notion d’église étant de moindre importance.

Malgré la violence inhérente aux religions, celles-ci constituent un ensemble de croyances et de pratiques qui unissent dans une même communauté. Le rapport au divin permet d’unir et de souder les fidèles, mais on exclut ainsi certains par distinction. En effet, dès lors qu’il y a phénomène de groupe, il y a exclusion potentielle.

Enfin, la foi conduit à la nécessité de se repenser. S’il n’y a aucun signe de la présence de Dieu dans notre vie, il est normal qu’il soit difficile de croire.

Le CER reçoit Frédéric Gain

Jeudi 8 février 2024

sur le thème :  ” Peut-on être croyant aujourd’hui?”

Frédéric Gain, docteur en philosophie, a publié récemment une nouvelle traduction de l’Évangile de Jean.

Cette nouvelle traduction prétend chercher le sens, non pas derrière le texte, mais à travers lui, en restituant son rythme et ses images. Toutefois, parce qu’il fait prédominer le discours sur le récit, ce quatrième évangile confronte le traducteur à des difficultés particulières. Comment proposer une version vivante alors que beaucoup d’endroits présentent un caractère théorique, notamment sur la relation entre le Père et le Fils ? Et comment rester exact sans tomber dans l’aridité et l’abstraction face à des passages…

                                                                                                                                           

 

 

Chers ami.es,

2023 a été une année riche en conférences de qualité. Pour ces fêtes de fin d’année, Isabelle, Jean-Pierre, Olivier et moi-même vous souhaitons de belles fêtes de fin d’année. Il est encore temps de célébrer le bicentenaire de la naissance d’Ernest Renan et nous vous proposons ce lien qui vous donnera accès à plusieurs articles qui racontent Ernest Renan.   Bonne lecture : Et à l’année prochaine !

Naissance d’Ernest Renan – France Mémoire (france-memoire.fr)

prochaine conférence du CER jeudi 11 janvier :

J Théry Rôle des persécutions dans la formation  de l’Etat et de l’Europe moderne

 

 

Le CER a reçu François Lecoutre sur le concept de religion séculière

Le CER a reçu François Lecoutre vendredi 15 décembre 2023 sur le thème :

” Le concept de ‘religion séculière’ est un Kampfbegriff ”

Professeur de  Droit public à l’ Université d’Orléans, auteur en 2019 de la thèse La controverse entre Hans Kelsen et Eric Voegelin en théorie du droit et en théorie politique.

“Ce terme “religion séculière” est un concept de combat mobilisé par des conservateurs religieux mais aussi par des libéraux athées pour caractériser les régimes totalitaires.

Je propose ensuite de me concentrer sur l’usage qu’en font trois libéraux athées : Bertrand Russell, Louis Rougier et Raymond Aron.

Enfin, je propose de présenter la réfutation que fait Hans Kelsen de ce concept dans son livre intitulé Religion séculière, qu’il n’a jamais publié de son vivant, et que j’ai traduit en français cette année.”

Le texte de la conférence est à la disposition des membres du CER dans la partie réservée du site.

Ce projet de traduction entend mettre à la portée du public francophone un ouvrage majeur et peu connu d’un des plus grands juristes du XXe siècle. Difficile en effet aujourd’hui de trouver un ouvrage en langue française consacré à la philosophie du droit, à la théorie du droit ou même au droit constitutionnel, dans lequel Kelsen ne serait pas présenté comme un auteur incontournable. Déjà en 1969, Métall, dans la biographie de Kelsen qu’il écrivit, faisait état de la réception dans le monde entier dont avait fait l’objet sa pensée : que ce soit dans la vie politique suisse, à Tokyo où des étudiants travaillaient sur ses écrits, compte tenu aussi de la traduction en braille de sa Théorie générale du droit et de l’État en 1960, ou encore eu égard aux hommages qui lui ont été rendus dans des pays aussi différents que le Pakistan ou la Hongrie, ou enfin comme en témoignait une émission radiophonique française où il était présenté en compagnie d’Albert Einstein et Thomas Mann comme l’une des trois personnalités germanophones les plus importantes de son temps. Encore aujourd’hui, on peut dire sans prendre trop de risques que Kelsen figure parmi les classiques de la pensée juridique mondiale. Il rencontre même actuellement un grand succès en Amérique latine. Toutefois, c’est surtout sa Théorie pure du droit (Reine Rechtslehre) qui est connue et étudiée. Le but de cette traduction est donc de faire découvrir au public francophone un auteur dont l’œuvre ne se réduit pas à la théorie du droit.