Résumé de la conférence d’Eric Anceau au Cercle Ernest Renan
le 24 novembre 2023
Une histoire longue de la laïcité
Introduction
Eric Anceau est historien, maître de conférences à la Sorbonne et enseignant dans les universités de Nancy et Metz. Il est spécialiste de la seconde partie du 19e siècle et l’auteur de plusieurs ouvrages. Il est également spécialiste de la laïcité.
Lors de sa conférence, Eric Anceau va successivement définir le concept de laïcité, puis il va dérouler son propos autour de 3 époques : la laïcité dans le lointain passé, la laïcité républicaine à partir de 1792 et enfin la laïcité après 1905 et jusqu’à l’époque contemporaine.
Définir la laïcité
Le concept de laïcité peut se définir autour de trois principes :
-le refus de tout assujettissement à toute forme de pensée idéologique,
-le respect des libertés de conscience et de culte,
-l’égalité de tous les citoyens, quelles que soient leurs croyances.
Les racines de la laïcité sont très anciennes et remontent à l’antiquité. Beaucoup de pays revendiquent une forme ou une autre de laïcité, au-delà de la France. Il s’agit notamment des anciennes colonies françaises d’Afrique sub-saharienne, du Portugal, des Etats-Unis ou de la Turquie par exemple.
Les racines de la laïcité dans un lointain passé
Chez les anciens, rien ne se conçoit hors de la toute puissance des Dieux. Les rapports entre religion et société sont donc extrêmement étroits. Il existe, cependant, dès l’antiquité une pensée laïque, notamment chez Socrate.
Au Moyen-âge, trois acteurs s’affrontent quant à leur influence sur la société et sur la politique : la Papauté, l’Empire et l’État moderne représenté par le royaume des Francs.Philippe le Bel aura un conflit avec le Pape et s’appuiera sur des hommes de loi laïcs (comme Guillaume de Nogaret) pour s’émanciper de l’Église.
Au 16e siècle, la France sera confrontée aux guerres de religion. Cette situation va inquiéter les modérés des deux camps, que l’on nomme “les Politiques” (Michel de l’Hospital ou Jean Bodin). En effet, les fanatiques (du latin “fanum”, ceux qui vénèrent le Temple) font craindre l’éclatement et le délitement du royaume. L’apaisement des tensions viendra avec Henri IV et l’édit de Nantes en 1598. Cet édit de tolérance permet la protection des protestants sans pour autant établir une égalité entre les religions.
L’édit de Nantes sera révoqué en 1685 par Louis XIV, le souci du roi étant de s’attaquer à toute menace contre l’Etat provenant des protestants. Mais Louis XIV va aussi s’attaquer à certains catholiques comme les jansénistes.
Durant la période des Lumières, plusieurs penseurs s’intéressent aux rapports entre la société, l’État et les religions. Mais ils n’auront pas la même vision. Ainsi, pour Pierre Bayle, l’Etat doit avoir la main sur les religions. Rousseau prône une religion civile. Voltaire, quant à lui, est opposé à l’intolérance religieuse, mais il ne conçoit pas l’Etat sans la religion.
Construction de la laïcité républicaine à partir de 1792
C’est avec la Révolution que s’effectue le passage de la catholicité vers la laïcité.
La déclaration des droits de l’homme prône la liberté, mais pas la liberté de culte. La Nation prévaut dans tous les domaines.
Les protestants et les juifs vont progressivement devenir des citoyens à part entière, ce qu’ils n’étaient pas auparavant. En 1791, les protestants deviennent citoyens. Un peu plus tard, les juifs séfarades sont émancipés. Les ashkénazes seront intégrés à partir de Napoléon, puis sous Louis Philippe.
Condorcet est à l’origine des principes d’Education Nationale et d’Instruction Publique. Il prône une république laïque construite sur les seuls principes de la Raison. Pour lui, les tyrans et les prêtres sont des ennemis et l’école est le fondement de la république laïque.
La loi du 21 février 1795 (3 ventôse an III) établit un régime de séparation des églises et de l’Etat et annonce la loi de 1905.
En 1801, le Concordat permet la pacification entre la société et la Papauté. Mais la religion passe sous les fourches de l’Etat.
En 1879, après la reprise de contrôle de la 3e république par les républicains, Ferdinand Buisson devient directeur de l’enseignement primaire. Avec Jules Ferry, il va œuvrer à la rénovation du système éducatif. C’est lui qui définit le premier le concept de laïcité dans son dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire.
Le terme laïcité vient du grec ancien “laos” : démos définissait le peuple des citoyens, ethnos le peuple grec et laos tous ceux qui font la vie de la cité même s’ils ne sont pas citoyens, l’idée étant de faire société sans s’entre-déchirer.
Les lois Jules Ferry, ainsi que diverses évolutions vont progressivement poser les bases de la laïcité. Par exemple, en 1884 les prières qui étaient faites avant les sessions parlementaires seront supprimées.
Mais pour autant, Jules Ferry et de nombreux républicains sont contre la séparation de l’Eglise et de l’Etat et se satisfont du Concordat qui permet un contrôle des religions.
De la loi de 1905 jusqu’à l’époque contemporaine
La loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat aura essentiellement pour origine les problèmes avec la Papauté : rupture des relations diplomatiques avec le Vatican après la reconnaissance par la France du royaume d’Italie et paralysie dans la nomination des évêques. Il y aura également l’Affaire Dreyfus et les prises de position radicales de l’extrême droite catholique.
Emile Combes, plutôt réticent au départ, devient partisan de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Aristide Briand et Ferdinand Buisson seront les acteurs principaux de l’élaboration de la loi du 9 décembre 1905. Cette loi reste très libérale. Le terme laïcité n’apparaît pas explicitement. L’Etat est neutre par rapport aux religions et les religions, quant à elles, se doivent de respecter l’ordre public. Les auteurs de la loi considèrent celle-ci comme une étape et non une fin en soi. Elle pourra donc être complétée ou amendée si le besoin s’en fait sentir.
Après la publication de la loi, une période de tension apparaît au moment de l’inventaire des biens de l’Eglise. Clémenceau mettra fin à cette tension en suspendant ces inventaires : “aucune loi mérite la mort d’un homme”.
Ensuite, l’Union Sacrée durant la première guerre mondiale et dans les années qui suivent mettra fin aux tensions liées à la loi de 1905.
La chambre “bleu horizon” adopte une attitude de pacification et accepte le maintien du concordat d’Alsace Moselle.
Sur le temps long, on assiste ainsi à un apaisement, y compris durant la période de Vichy qui reconnaît la laïcité républicaine.
C’est après la seconde guerre mondiale que le mot laïcité apparaît dans les constitutions de la 4e et de la 5e République. Deux périodes de tension réapparaissent au sujet de l’école : en 1951 et en 1960 avec les lois Marie-Barangé et Debré qui concèdent des avantages à l’école privée. Puis, en sens inverse, entre 1981 et 1984 avec le Programme Commun et la loi Savary qui prônent la mise en place d’un service public de l’enseignement laïc.
Après l’apaisement, une situation de basculement apparaît à partir de 1989 avec l’affaire des foulards de Creil. Cette affaire, téléguidée par les Frères Musulmans, remet en cause les principes de laïcité à l’école et entraîne de vives tensions dans la société, y compris dans les milieux de gauche, entre une vision ouverte de la laïcité (position de Danièle Mitterrand) et une vision plus radicale (Régis Debray qui dénonce le “Munich de l’Education Nationale”). Le Conseil d’Etat admet la tolérance s’il n’y a pas d’atteinte à l’ordre public. Francois Bayrou va procéder par arrêtés, au coup par coup.
Jacques Chirac, en 2002, demande à une commission de réfléchir à une loi. Ce sera la loi Stasi de 2004 qui interdira les signes ostentatoires religieux à l’école. Mais le processus d’atteinte à la laïcité, lancé par les extrémistes musulmans, va se poursuivre sur le thème des repas et des sorties scolaires ou bien des crèches.
Le problème posé concerne l’espace social pour lequel la législation est floue, contrairement à l’espace privé où toute liberté est donnée et à l’espace public qui est régi par la loi de 1905.
Emmanuel Macron oscille entre fermeté et tolérance jusqu’à l’attentat de la préfecture de Police de Paris qui entraîne un discours de laïcité ferme.
La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République va beaucoup plus loin que la loi de 1905 :
-Elle étend le principe de neutralité pour les membres des conseils municipaux et des services publics.
-Elle exige des associations de signer un contrat d’engagement républicain pour avoir accès à des subventions.
-Elle étend les contrôles sur l’enseignement confessionnel.
-Elle renforce les contrôles des lieux de culte.
En parallèle, un comité ministériel de la laïcité est mis en place.
Conclusion
La laïcité apparaît ainsi comme un principe évolutif qui a permis d’asseoir les libertés.
L’histoire permet de comprendre en quoi ce principe a été important en France où l’intolérance religieuse et les guerres de religion ont profondément marqué la société.
On comprend aussi, grâce à l’histoire :
-en quoi la laïcité est précieuse,
-ce qu’est réellement la laïcité,
-comment elle peut s’adapter aux défis.